Alberto Julián Pérez ©
Ana Maria Robles a vingt-huit ans, elle
est mariée à Juan Carlos Salvatierra. Ils habitent dans le Barrio Norte, au
croisement d’Arenales et Talcahuano. Juan Carlos est plus âgé qu’elle. Il dit
avoir cinquante-cinq ans, mais Ana Maria le soupçonne d’avoir truqué sa carte
d’identité. Il frise plutôt soixante. C’est un homme riche qui aime les
jeunes femmes. Il s’habille bien, il va tous les deux jours à la salle de
sport. Il est sympathique et en forme pour son âge. Il a fait fortune dans
l’immobilier. Les mauvaises langues disent que pendant la dictature il a aidé
les militaires à mettre sur le marché les propriétés volées à leurs victimes en
falsifiant des documents.
Dans
le Barrio Norte on parle beaucoup de Juan Carlos. De grandes fortunes y vivent,
propriétaires terriens et industriels. On ignore d’où Juan Carlos tire sa
richesse. On sait qu’il était pauvre quand il était jeune. Il vient de Rosario
et son père était ouvrier au frigorifique Swift. Il a fait quelques années de
droit mais il n’a jamais fini les études. Il s’est cependant très bien servi de
ce qu’il a appris. C’est un homme intelligent et un bon lecteur. Il a dans son
appartement une pièce consacrée à sa bibliothèque, avec plusieurs centaines de
livres. Ils ne sont pas là pour décorer, dit-il, les a tous lus, du premier au
dernier. On le traite de décadent, on lui attribue des relations perverses de
toute sorte. Personne ne le connait bien.
Juan Carlos est un homme complexe. Il
s’est marié deux fois et n’a pas eu d’enfants. Son nouveau mariage est une
libération pour lui, il est profondément amoureux. Ana Maria n’est pas une oie
blanche. Comme Juan Carlos, elle est d’origine modeste. Elle a grandi dans la
banlieue ouest de Buenos Aires, à Moron. Son père avait une menuiserie. Elle
n’a pas voulu faire d’études. C’est une femme belle et sensuelle. Une déesse du
sexe. Son intelligence s’éveille au lit. Elle est infatigable et insatiable.
Elle et Juan Carlos passent leurs nuits sans dormir, à faire l’amour et
discuter. Elle a un grand sens de l’humour. Ils aiment regarder ensemble
des films étrangers. Juan Carlos en sait beaucoup sur le cinéma et il a décidé
d’éduquer sa femme. Quand le film fini, Ana Maria lui saute dessus et le
mène à l’extase. Il est comblé et terrorisé à l’idée que ce bonheur puisse un
jour prendre fin.
Elle éveille le désir des hommes et
a eu beaucoup d’amants. Elle est au centre des tous les regards. On envie
profondément Juan Carlos. Comme tout le monde s’imagine, elle l’a épousé pour
son argent mais à sa façon elle est heureuse. Elle se sent bien avec Juan.
Carlos. C’est une commère, elle adore les histoires de sexe. Avec sa meilleure
amie Marita Rosello elle sort boire des verres aux comptoirs des bars de Barrio
Norte. Marita est l’amante d’un jeune physicien culturiste, son voisin, qui vit
avec une entrepreneuse plus âgée que lui. Dans le Barrio Norte, il y a
beaucoup de relations comme celle-là. Intéressées. Le jeune homme est bien
monté, Marita lui décrit dans les moindres détails leurs relations sexuelles.
Ana
Maria lui raconte comment ça se passe avec son mari. Sa vie sexuelle avec lui
n’est pas mauvaise. Juan Carlos est un homme passionné. Elle admire par-dessus
toute sa culture. Elle aime l’écouter parler de livres et de voyages. Il
connait plein de choses. Il ne lui parle pas beaucoup de ses affaires, elle a
l’impression que le monde du business l’ennuie un peu. Il délègue tout ce qu’il
peut à ses subordonnés, concrétise ses opérations au téléphone, dans des dîners
et des conversations de café. Il suit ses affaires sur son ordinateur. Ce qui
compte c’est d’avoir des contacts et Juan Carlos est un psychologue né et un
homme d’une grande vivacité. Il a toujours une longueur d’avance sur les autres.
Ana Maria confie à son amie ses aventures
extra-conjugales. Elle voit régulièrement deux jeunes hommes du quartier. Ils
sont riches. L’un a des chevaux et joue au polo. Les deux lui plaisent et un
jour elle les a réunis. Ils ont passé l’après-midi à faire l’amour. Marita lui
demande si son époux est au courant. Elle lui dit qu’elle pense qu’il s’en
doute, mais qu’il fait comme s’il n’en savait rien. C’est un homme du monde, il
est âgé et il sait qu’il ne peut pas l’avoir pour lui seul. Il n’est pas attirant,
à peine plus grand qu’elle et n’en n’a pas une grande, alors que ce qui lui
plait, c’est les hommes jeunes, forts et bien montés.
Elle ne s’est pas trompée, Juan Carlos non
seulement se doute que sa femme a des relations avec d’autres hommes,
mais encore il en est sûr. Il voit bien qu’elle est trop jeune pour lui. Elle
pourrait être sa fille. Ses connaissances lui racontent qu’on l’a vue
accompagnée dans les bars du coin, on lui laisse entendre qu’elle drague des
types. Il a de son côté des horaires très irréguliers. Il reste souvent au
bureau à lire. Il aime lire de tout. Les philosophes français, les romanciers
américains, les poètes hispano-américains. Il en sait beaucoup sur la
littérature argentine, il connait bien l’oeuvre de Borges, de Sabato, de
Cortazar, de Saer. Il aime Aira et Pauls. Il admire l’oeuvre journalistique de
Walsh. Il lit aussi l’Histoire et pense que José Luis Romero est l’historien
argentin qui écrit le mieux. La littérature française est sa préférée et ses
auteurs favoris sont Voltaire et le Marquis de Sade. Il aime les contes de
Voltaire et ses essais philosophiques. Il admire tous les penseurs des
Lumières. Il dit qu’ils sont les pères de la modernité : Voltaire, Diderot,
Montesquieu, de Tocqueville. Rousseau l’intéresse moins. Il n’aime pas ceux qui
ont une haute idée d’eux-mêmes (il fait une exception pour Sarmiento, parce que
sa prose lui parait excellente et son intelligence dépasse les attentes de
n’importe quel lecteur). En ce qui concerne le Marquis de Sade, il le tient pour
un patron de la liberté. Il a lu sa biographie. Le Marquis a souffert des
horreurs. Il a passé trente ans emprisonné et a écrit la majorité de ses livres
en prison. Son oeuvre est l’apothéose de la perversité sexuelle. Elle a été
écrite par un moraliste qui répudiait les préjugés de son temps. La société a
éloigné l’homme de lui-même. Le Marquis était un grand égoïste, mais à raison.
Il enseigne à plonger dans l’abjection pour se libérer. La morale hypocrite est
une camisole de force, la société invente sans cesse de nouvelles restrictions,
elle cherche à rendre la vie complètement prévisible. Les gens meurent de
lassitude et d’ennui, ils ont besoin de sexe et de vengeance. Le libertinage.
Être libre contre les autres.
Il prend plaisir à lire le Marquis.
Ses histoires sont d’une pornographie parfaite. Son livre préféré est La
philosophie dans le boudoir, qui combine la philosophie avec les relations
perverses. Il passe des heures dans son bureau, à lire et à méditer sur son
oeuvre. Il pense à sa situation avec sa femme et se dit qu’il doit la laisser
libre. Il est jaloux mais il sait que s’il la surveille, il la perdra. Il est
profondément amoureux d’elle, sa femme l’obsède. Et pour lui Ana Maria est
surtout sur sexe. Elle n’a pas d’autres qualités particulières, mais sa
sexualité est parfaite, le centre du monde.
Certains jours elle ne rentre pas à
l’appartement. Elle l’appelle et lui dit qu’elle va chez sa mère à Moron. Elle
revient réjouie le jour suivant. Une fois elle a disparu deux jours. Il lui a
téléphoné mais son portable était éteint. Il n’a pas osé demander à sa mère. Il
savait ce que ça voulait dire. S’il faisait un scandale elle pourrait
l’abandonner. C’est le prix à payer pour avoir le meilleur sexe de Buenos
Aires. Combien d’hommes de son âge pourraient dire la même chose? Quand elle
revient elle est excitée, ils couchent sans s’arrêter jusqu’à ce qu’il n’en
puisse plus.
Par la suite, il a pensé que le mieux
serait de parler ouvertement de la situation. Mais il a eu peur de le faire. Elle
pourrait le prendre à la légère. Cherchant une autre option, il s’est dit que,
comme elle aime les types grands et beaux garçons, une solution serait
d’embaucher un chauffeur beau et athlétique. C’est sûr qu’elle s’entendrait
avec lui. Ana Maria aime le faire cocu, ça la fait se sentir supérieure. De
cette manière il éviterait qu’elle sorte pour draguer, dans les bars, en
courant des risques. La rue est pleine de gens violents. Il a peur qu’un jour
la police l’appelle et lui dise qu’il lui est arrivé un malheur. Si elle
s’arrangeait avec le chauffeur, elle serait en sécurité. Le chauffeur serait
son employé, il ferait ce que Juan Carlos lui dirait. Tout se passerait sous
son toit.
Juan Carlos s’est mis à prêter attention
aux types de la salle de sport, pour voir si l’un d’eux ferait l’affaire.
Beaucoup de videurs la fréquentent. Il les trouve beaucoup trop musclés. Il ne
sait pas si un homme comme ça plairait à sa femme. Que de la gonflette. Dans le
vestiaire les hommes se changent après la séance de sport. Il a repéré un jeune
homme grand, brun, l’air placide. Il a vu qu’il est bien monté. Il l’a bien
observé et il lui semble que c’est le genre d’homme qui plairait à Ana Maria.
Il s’approche de lui et entame la conversation. Il lui demande ce qu’il fait dans
la vie. L’autre répond qu’il est vendeur de chaussures. Employé à temps
partiel. Il travaillait dans une compagnie d’assurance, mais il a eu des
problèmes et s’est fait licencier. Il lui demande s’il sait conduire. L’autre
répond oui. Il lui dit qu’il a un travail à lui proposer. Il a besoin d’un
chauffeur et le travail exige une personne disposant de certaines conditions
physiques. Le chauffeur devra être aussi garde du corps et vigile. Le jeune
homme lui dit que c’est dans ses compétences : il pratique le karaté. Juan
Carlos lui propose un salaire généreux, pour le faire accepter. Plus que
sa sécurité, celle de sa femme l’importe. Ils n’ont pas d’enfants, elle est
belle, jeune et des gens le détestent et pourraient chercher à faire du mal à
sa femme. Ils se mettent d’accord et le lendemain Juan Carlos le reçoit dans
son appartement et il lui montre le garage où il a plusieurs voitures. Adrian,
le chauffeur et garde du corps, conduira la BMW, la voiture préférée de sa
femme. Puis il appelle son comptable et lui dit de mettre son nouveau chauffeur
sur la liste des salaires et de lui faciliter une avance d’argent s’il en a
besoin : c’est son homme de confiance.
Adrian fait bien son travail. C’est un
jeune homme tranquille, sa personnalité ressemble assez à celle d’Ana Maria. Il
la conduit où elle veut, ils vont au country du Jockey Club, faire du jogging à
Palermo, aux galeries commerciales et voir son amie Marita, qui a déménagé dans
un quartier sécurisé à San Isidro, où elle vit avec un banquier. Il l’emmène
aussi à Moron pour rendre visite à sa mère qui n’a jamais voulu quitter le
quartier.
La
relation entre Adrian et Ana Maria évolue rapidement. Ils passent de la bonne
entente aux frôlements et finissent à l’hôtel. Adrian est un passionné comme
elle. Ils ont des relations sexuelles taquines et baroques, il fait tout ce qui
plait à Ana Maria. Il embrasse très bien, adore la caresser. Il apprécie le
sexe vaginal et anal dans toutes les positions. Il se régale en lui léchant le
vagin et elle lui rend le plaisir en suçant son sexe. Ils adorent regarder leur
reflet dans les miroirs de la chambre pendant qu’ils font l’amour. Quand ils se
sentent un peu fatigués ils se mettent devant un film porno qui fait très vite
renaître leur excitation. Après ces après-midis, elle est aux anges,
ressourcée. Ils choisissent les motels qu’ils fréquentent presque
quotidiennement en fonction de la décoration des chambres.
Elle est heureuse, elle a les yeux
brillants et la peau lustrée. Juan Carlos l’a remarqué en rentrant du bureau:
sa femme a entamé une liaison avec Adrian. Quand elle revient à l’appartement
après avoir été avec lui, elle l’enlace et lui caresse les cheveux. Ses seins
sont durs. Elle ne lui laisse pas le temps de finir de dîner, elle l’embrasse,
pose sa main sur son pantalon et l’emmène dans la chambre où elle s’abandonne
aux orgasmes. Les après-midis passés avec Adrien augmentent son désir. Juan
Carlos est satisfait, elle est faite ainsi et c’est pour cela qu’il
l’aime.
Quand Adrian vient à l’appartement pour
chercher ou laisser Ana Maria, Juan Carlos se sent mal à l’aise. Cet homme a
fait l’amour à sa femme ou prévoit de passer la journée à l’hôtel avec elle.
Comment ne pas être jaloux : il est riche, admiré, mais il ne peut pas être
jeune et attirant comme Adrian. Il a provoqué la relation et maintenant il en
pait le prix. Il le fait pour sa femme mais il souffre de cette situation
cruelle.
Les jours passant, ses sentiments
évoluent. L’envie s’est transformée en curiosité. Il se demande comment Adrian
est au lit avec sa femme. Il regarde le corps du jeune homme et reconnait qu’il
est beau : il a envie de le voir faire l’amour à sa femme.
Il dit à Ana Maria qu’il sait tout. Elle
nie dans un premier temps, mais finit par reconnaitre les faits. Il dit qu’il la
comprend, c’est une passionnée et lui est âgé, c’est peut-être mieux ainsi. Le
lendemain, quand le chauffeur arrive, Juan Carlos le fait entrer dans le salon.
Il lui dit qu’il est au courant de ce qui se passe entre lui et sa femme.
Adrian n’ose pas le regarder en face. Juan Carlos, se montrant compréhensif,
lui met la main sur l’épaule. « Ce qu’on fait par désir et par amour est
humain », dit-il, « la nature nous fait sentir de l’attirance pour
les autres ». C’est une phrase ronflante et intellectuelle, mais le jeune
homme lui jette un regard reconnaissant. Juan Carlos dit qu’ils sont tous les
trois amis, qu’ils ont de bons sentiments et que si sa femme se sent bien, lui
aussi, il n’a rien à redire. Alors Adrien le regarde, mal à l’aise. Le jeune
homme se sent coupable. Juan Carlos part lire dans son bureau, Ana Maria et
Adrian sortent.
Plus tard, Juan Carlos dit à sa femme que
le moment le plus difficile est passé. Maintenant qu’ils sont amis, ils n’ont
plus besoin de se cacher. Le mieux serait qu’une fois ils soient les trois
ensembles, il aimerait être présent quand ils font l’amour. Ils se mettent d’accord, si bien qu’une
après-midi, dans la chambre de l’appartement, Ana Maria et Adrian se
déshabillent et commencent à s’embrasser et se caresser. Juan Carlos reste
debout sur un côté et il observe avec intérêt, excité. Elle est d’abord peu
expressive, mais elle révèle ensuite son érotisme. Adrian se comporte
naturellement, comme un homme expérimenté. Juan Carlos se met nu, il s’approche
du lit et les caresse. Il embrasse sa femme puis il caresse la joue
d’Adrian. Ana Maria et Adrian s’enlacent et font l’amour. Ils atteignent
l’orgasme et s’allongent dans le lit pour se reposer.
Ils rejouent la scène le jour suivant.
Adrian est arrivé dans l’après-midi à l’appartement, Juan Carlos était dans son
bureau. Ana Maria l’a reçu, ils ont discuté, bu un verre, ensuite ils sont
allés dans la chambre. Juan Carlos entre peu après. Cette fois il ose
participer, il baise le sexe de sa femme avec passion, puis il caresse le
membre d’Adrian et le guide jusqu’au vagin. Après qu’il l’a pénétrée il les
sépare et ils le laissent faire. Il introduit encore sa langue dans le vagin de
sa femme, il frotte le sexe d’Adrian et l’appuie contre ses propres fesses. Il
sent qu’Adrian est très excité et joue avec son anus. Sa femme ne dit rien.
Adrian essaie de le pénétrer. Ça lui fait mal. Le jeune homme met de la
vaseline et il réussit à lui enfoncer son sexe. Ça lui fait très mal. Il n’a
pas eu beaucoup d’expériences avec des hommes. Il ressent du plaisir. Il pense
au Marquis de Sade. Sa femme est de plus en plus excitée par la situation. Il
continue à lui introduire sa langue dans le vagin. Finalement, ils jouissent
les trois en même temps. En signe de reconnaissance ils se touchent les mains.
Ils se séparent et se mettent à sourire, puis ils rient ouvertement. Ils ont
atteint quelque chose auquel ils ne s’attendaient pas: ils se sentent libérés.
Juan Carlos leur dit qu’il voudrait qu’ils soient amis. Leur relation est trop
pragmatique, il cherche autre chose mais il ignore quoi. Il leur offre son
amitié.
Ils ont commencé à sortir tous les trois.
Ils vont au restaurant, au théâtre, à des concerts. Juan Carlos ne s’est pas
rendu au travail pendant plusieurs jours puis une après-midi il est apparu au
bureau avec Ana Maria et Adrian. Ses employés ont remarqué qu’il se passait
quelque chose d’étrange et ont échangé des regards moqueurs. Juan Carlos s’en
est aperçu et ça lui est égal, il ne se préoccupe pas de ce qu’on pourrait
penser de lui. Il se sent libre, il commence à comprendre Sade, quand il
parlait de libertinage.
Juan Carlos leur confie à sa femme et
Adrian qu’il les aime beaucoup, ils sont uniques. Il sait qu’il est un homme
âgé, il a cinquante-cinq ans et eux n’ont pas atteint la trentaine. Il pense à
leur avenir, il voudrait qu’ils ne manquent de rien, même quand il ne sera plus
là. Ils lui demandent de ne parler de ça, il a encore du temps devant lui. Juan
Carlos leur dit qu’il vaut mieux prévenir, l’argent ne fait pas tout, mais sans
lui on est à la merci des autres.
Ce dialogue met mal à l’aise Ana Maria.
C’est elle l’épouse, elle ne comprend pas pourquoi il inclut Adrian dans ce
genre de conversations. La relation entre Adrian et Juan Carlos évolue et elle
n’aime pas qu’ils couchent ensemble ni qu’Adrian sodomise Juan Carlos. Elle est
possessive et c’est normal qu’elle soit jalouse, Juan Carlos est son mari. Il a
fait beaucoup pour elle et elle lui en est reconnaissante. Elle veut que
personne ne se serve ou profite de lui. Elle aurait préféré que tout ça reste
secret. Elle aime tromper les hommes, avoir plusieurs amants, sans que les
autres ne le sachent. Elle sent qu’elle a perdu le contrôle de la situation
présente et que son mari dirige tout.
Juan Carlos leur propose de prendre
une semaine de vacances et partir tous ensemble au casino de Mar del Plata.
Elle n’aime pas jouer mais elle dit qu’elle les accompagnera. Ils logent à
l’hôtel du casino. On est en basse saison, la plupart des clients de l’hôtel
sont des joueurs réguliers, des clients du casino, des passionnés du jeu qui
dépensent leur argent sans compter. Ce sont principalement des hommes qui
passent toute la journée au casino. Juan Carlos et Adrian aiment le baccara, le
poker et la roulette. Ana Maria enfile de magnifiques robes longues et des
bijoux chers et reste assise dans la salle du casino pendant qu’ils jouent.
Elle est hautaine, tous l’admirent.
Elle dit à Juan Carlos et Adrian
qu’elle s’ennuie. Elle ira boire un verre au bar de l’hôtel et marcher un peu
dans la ville. Qu’ils ne s’inquiètent pas et continuent à jouer. Juan Carlos
s’excuse: ils sont tellement pris par le jeu qu’ils sont incapables de
s’arrêter. Ils perdent, évidemment, mais ça leur est égal.
Elle
va au bar de l’hôtel et commande un cocktail. Les gens du bar lui semblent
intéressants, elle les observe attentivement. Il y a peu de jeunes, la moyenne
d’âge est de quarante ans. Ils sont bien habillés et on voit qu’ils ont de
l’argent. On croise peu de couples. Deux jeunes femmes, très voyantes,
s’assoient au bar. À vingt-trois heures un homme d’une quarantaine d’années
l’accoste. Il lui paie un verre, ils discutent et rient. Elle le trouve
attirant, ses quelques rides sont érotiques. L’homme lui dit qu’il est sportif
et qu’il aime naviguer, il la regarde avec sensualité et met la main sur sa
hanche. Il l’invite dans sa chambre et elle accepte.
Ils
font l’amour passionnément, l’homme lui plait beaucoup. Le temps passe sans
qu’elle ne s’en rende compte. Elle s’abandonne aux orgasmes. Soudain elle
regarde l’heure : il est trois heures du matin. Elle pense que son mari
retournera à la chambre et qu’il aura peur s’il ne l’y trouve pas. Elle dit à
l’homme qu’elle doit partir et pendant qu’elle s’habille, elle voit que l’homme
se lève et qu’il met quelque chose dans son sac à main. Elle lui donne un
baiser d’au revoir et part. Elle entre dans sa chambre qu’elle trouve vide. Son
mari et Adrian jouent encore. Elle fouille dans son sac et trouve la généreuse
somme d’argent laissée par l’homme avec qui elle a couché. Elle comprend qu’il
l’a prise pour une pute ou une « accompagnatrice » VIP. La situation
l’amuse. Elle range l’argent. Elle l’a gagné en travaillant, se dit-elle. Ça la
fait rire.
Le lendemain ils sortent tous les trois
marcher sur la plage. Ils décident de déjeuner au port où ils mangent des
fruits de mer et boivent un excellent vin. Après manger ils rentrent à l’hôtel
et Juan Carlos et Adrian vont au casino. Elle reste dans la chambre avec une
idée derrière la tête. Elle met une robe rouge moulante et elle descend au bar,
superbe. Un homme l’accoste bientôt, il lui dit qu’il voudrait monter avec elle
dans sa chambre. Elle répond qu’il faut payer et l’homme accepte. Ils font
l’amour pendant deux heures. L’homme lui paie la somme convenue et elle
retourne dans sa chambre. Elle range l’argent, se douche et change de tenue.
Elle enfile une robe noire très décolletée, retourne au bar, monte avec un
autre homme. Celui-ci est très satisfait de son « service » et la
paie plus que ce qu’elle a demandé. C’est une femme splendide, lui dit-il. Ana
Maria se sent flattée et heureuse, elle retourne dans sa chambre ranger
l’argent et se laver. Puis redescend au bar. Elle trouve un troisième client.
Celui-ci est plus jeune et fort, il a un grand membre et veut la sodomiser.
Elle refuse, mais il double la somme et elle accepte. Après ça elle décide
d’aller dormir, elle est épuisée. L’expérience lui a plu, elle se sent bien.
Juan Carlos et Adrian ne sont pas encore rentrés. Elle range soigneusement tout
l’argent et se couche.
Il est midi passé quand ils se
réveillent. Adrian s’approche du lit et l’embrasse. Il lui monte dessus et lui
fait l’amour. Son mari, dans le lit d’à côté, regarde. Quand Adrian termine,
son mari vient. Elle se sent un peu fatiguée par le manège de la veille mais
elle ne dit rien, elle se laisse faire et fait semblant de jouir. Elle ne veut
pas qu’ils se rendent compte de quelque chose.
Ils sont de retour à l’hôtel, après
une promenade et un repas en ville. Adrian et Juan, obsédés par le jeu, sont au
casino. Elle descend au bar et elle remarque un groupe de trois hommes
d’affaires, la quarantaine, qui la regardent. Elle est splendide. Ils
s’approchent et s’assoient pour discuter avec elle. Ils lui proposent de monter
tous ensemble dans une chambre, elle accepte et une fois dans la chambre, ils
lui disent qu’ils veulent le faire tous les trois avec elle. Ils se mettent
d’accord sur le prix. Ils se déshabillent, boivent du champagne et dansent. Les
trois lui font l’amour, d’abord l’un après l’autre puis en même temps. Elle se
sent la femme la plus aimée du monde. La nuit, fatiguée, elle retourne dans sa
chambre pour dormir. Elle ouvre la porte et entend des bruits. Elle allume la
lumière et surprend Juan Carlos et Adrian au lit: ils sont nus en train de
faire l’amour. Adrian est au-dessus de son mari. Elle est contrariée, ils ne
lui avaient pas dit qu’ils faisaient l’amour sans elle. Elle se sent mise à
l’écart, elle a peur de ne plus plaire à son mari. Et s’il devenait homosexuel?
Ils lui disent qu’ils plaisantaient et que c’est la première fois que ça
arrivait. Elle ne les croit pas. Amère, cette nuit-là elle raconte à Juan
Carlos ses aventures des jours précédents avec les hommes qu’elle a dragués au
bar. Elle lui dit que cette après-midi elle participé à une orgie, elle a été
avec trois hommes en même temps. Elle pensait que Juan Carlos allait se fâcher
et stopper tout ça ou lui demander de ne plus recommencer. Mais Juan Carlos
n’est même pas contrarié et il va jusqu’à lui dire que ça lui semble à
un jeu intéressant. Pourquoi ils ne la paieraient pas ? Le sexe peut être un
métier. Adrian acquiesce.
Ils
ont prévu que le lendemain elle devra aller au bar, chercher les trois hommes
et les inviter à monter avec elle. Juan Carlos et Adrian seront dans la chambre
quand ils rentreront. Elle a agi comme prévu. Elle a dit aux trois hommes
qu’elle ne leur ferait rien payer, qu’elle voulait recommencer ce qu’ils
avaient fait l’après-midi passée par pur plaisir. Ils montent dans la chambre
et en ouvrant la porte ils découvrent Juan Carlos et Adrian. Elle leur dit que
ce sont des amis, ils ne participeront pas à leur relation sexuelle, ils sont
là pour regarder. Les hommes sont mal à l’aise et refusent de faire quoi que ce
soit. Juan Carlos se présente et leur dit que c’est lui qui paiera pour voir la
petite fête. Les autres ne répondent rien et Juan Carlos augmente la somme
jusqu’à ce qu’ils acceptent. Ils pourront ensuite jouer cet argent au casino,
plaisante-t-il. Ils rient. Les trois se déshabillent et commencent une orgie
avec Ana Maria. Elle est rayonnante. Ils l’embrassent d’abord, puis ils la
possèdent de différentes manières. L’un jouit dans ses seins, un autre dans sa
bouche.
Juan
Carlos et Adrian regardent. Juan Carlos est fasciné, il est très excité et il
dit à Adrian qu’il a envie de le pénétrer. Adrian refuse, il a toujours été
actif dans leur relation. Juan Carlos lui dit que s’il ne lui offre pas
d’argent à ce moment-même, c’est pour ne pas l’offenser, mais qu’il a un petit
terrain qu’il pensait lui donner. Adrian accepte. Ils se déshabillent, vont sur
un lit et Juan Carlos le pénètre, pendant que les hommes font l’amour à Ana
Maria. Adrian crie de plaisir et Ana Maria aussi. Leurs regards se croisent. La
scène est belle, le plaisir intense. Ils atteignent finalement l’orgasme qui
les laisse heureux, étendus dans les deux lits. Un des hommes dit qu’il a un
petit quelque chose de spécial et sort un sachet de cocaïne. Il la dispose sur
un livre, dessine des lignes avec une carte de crédit, utilise un billet roulé
comme paille pour aspirer et la passe aux autres. Ana Maria aspire deux traits,
elle est très fatiguée. Elle a travaillé ardemment tous ces jours pour donner
du plaisir aux autres et elle en a pris aussi. On passe la coke à Adrian et Juan
Carlos. Adrian prend une ligne et Juan Carlos hésite. Il dit que ça fait
longtemps qu’il ne s’est pas drogué. Il a eu des périodes difficiles dans le
passé. Un homme lui dit d’avoir confiance, c’est juste pour sacrer ce moment
très spécial. Juan Carlos aspire la coke et tous se détendent, en silence. Puis
ils trinquent avec du champagne, s’embrassent et se disent adieu.
A
leur retour à Buenos Aires, leur relation évolue. Juan Carlos, pour rire, les
appelle ses « enfants ». Ce sont deux jeunes gens uniques. Il a tout
vécu, il est déjà près de la vieillesse, même si on ne dirait pas et qu’il fait
tout son possible pour le cacher. Ils retournent à leurs occupations. Adrian
sort se promener avec Ana Maria, ils font l’amour, cependant leur relation
n’est pas aussi bonne qu’avant. Ana Maria ne jouit plus autant avec lui. Après
l’avoir vu faire l’amour avec Juan Carlos elle ne voit plus en lui un vrai
homme. Fatiguée de la situation, elle commence à regarder d’autres hommes. Elle
a aussi peur que son mari l’abandonne. Elle n’a pas autant d’expérience que lui
et il garde la plupart de ses comptes à son nom propre.
Deux semaines plus tard, Juan Carlos
leur dit qu’il voudrait passer quelques jours avec eux en dehors de Buenos
Aires. Il leur propose de louer une maison sur une île du Tigre. Ils seront
loin du monde, au milieu de la nature qu’il aime. Ils pourront cultiver leur
amitié, ils auront du temps pour discuter, ils emporteront des livres, dont un
en particulier, qu’il voudrait partager avec eux et un peu de cocaïne et de
cannabis pour ouvrir leur esprit.
La
semaine suivante ils montent dans la BMW et partent pour le delta du fleuve
Parana, à Tigre. Ils arrivent sur l’île par une barque qu’ils laissent amarrée
au petit ponton. La maison est belle et il n’y a aucune autre construction en
vue, ils sont isolés. Ils déchargent les provisions de la barque. Ils emportent
de quoi préparer des repas variés et plusieurs bouteilles de bon vin. Juan
Carlos a amené ses livres. Pour lui, ces jours à Tigre sont une retraite spirituelle.
Ils en ont besoin. Ils font l’amour mais, surtout, ils lisent. Les soirs ils
dînent, boivent du vin et ont des conversations, après manger ils écoutent de
la musique et fument de l’herbe. Enfin, ils lisent.
Les lectures se concentrent sur La philosophie
dans le boudoir, le célèbre livre du Marquis de Sade, le libertin français.
Juan Carlos l’a lu pour la première fois quand il était jeune et après son
mariage avec Ana Maria, il est devenu son livre de chevet. Adrian ne le connait
pas, Ana Maria a entendu son mari parler du Marquis, mais elle ne l’a pas lu.
Pendant ces journées à Tigre, Juan Carlos lit avec eux et commente l’oeuvre du
Marquis. Elle n’est pas difficile à lire. La philosophie dans le boudoir
est un dialogue entre deux maîtres libertins, Dolmancé et Madame de Saint-Ange
et sa jeune disciple, Eugénie. Le Chevalier, frère de Madame et Augustin, un
domestique, les accompagnent. Madame de Mistival, mère d’Eugénie, arrive à la
fin de l’oeuvre.
Dans
le livre, les maîtres éduquent la jeune Eugénie, une vierge adolescente de
quinze ans, aux plaisirs de la vie sexuelle. Les libertins organisent des
orgies et se mettent en scène pour instruire la disciple. Le Marquis fait
parler ses personnages pendant qu’ils participent à des scènes de sexe. Ils
expliquent ce qu’ils sont en train de faire et ce qu’ils ressentent. Aussi, et
c’est là le plus intéressant, le Marquis les fait réfléchir sur l’amour, la
société et le libertinage. Ils se justifient et critiquent leur société, ils
défendent la liberté et dénoncent les atteintes à la nature : leur société
accule l’être humain, vulnérable dans ses instincts, elle les diabolise. L’être
humain libre est vu comme un criminel dangereux, le Marquis en sait quelque
chose, lui qui a payé son audace libertine de trente ans de prison. On l’a
condamné en se fondant sur des diffamations, sans avoir réellement de preuves
des délits dont on l’accusait. Dans sa vieillesse, on l’a enfermé dans un
asile, comme s’il était fou. On l’a puni pour la déraison de ses ouvrages, pour
la cruauté et la pornographie qu’il y déployait. Y a-t-il un autre écrivain qui
ait souffert de cette manière pour essayer d’être libre, de vivre naturellement
sa sexualité et d’exprimer ses instincts dans toute leur cruauté ? Juan Carlos
l’admire parce qu’il a été un libertin courageux qui a refusé de se taire, a
lutté contre tous et l’a payé, paradoxalement, en perdant sa liberté. Un
libertin, un homme qui aimait la liberté, enfermé dans une prison pour des
crimes qu’il n’avait sûrement pas commis.
Son
crime a été sa littérature, condamnée par la morale sociale hypocrite et
répressive et par l’Eglise. Au fond, insiste Juan Carlos, c’est un martyr et un
saint et chaque année on devrait fêter le premier décembre comme le jour de la
liberté d’expression de l’écrivain. Ce jour de l’année 2014 on a fête le
bicentenaire du décès de Sade à l’asile de Charenton, où il est mort sans
retrouver liberté, à soixante-quatorze ans. Ce que Juan Carlos apprécie le plus
du livre, en plus des scènes érotiques, ce sont les dialogues philosophiques,
les explications simples et convaincantes que Sade donne pour défendre la
liberté de l’homme et célébrer sa nature, qui l’a doté d’instincts et de la
capacité artistique pour en tirer du plaisir. Grâce à cette capacité esthétique,
l’homme est éclairé. La société le limite et le castre, sa sexualité le libère.
Se rebeller est nécessaire. La liberté sexuelle a été le symbole de cette
rébellion.
Ana
Maria et Adrian écoutent Juan Carlos émerveillés, comme s’il était Sade en
personne. Ce sont deux jeunes gens relativement peu éduqués, ils ont survécu
grâce à leur physique, leur culot et leur ruse. Ils apprécient désormais la
valeur de son expérience et lui en sont reconnaissants. Juan Carlos savoure
lentement les dialogues, puis il demande à Adrian de le remplacer, il voudrait
avoir lui aussi le privilège d’écouter le Marquis. Adrian est un bon lecteur
d’une belle voix. Il propose à Ana Maria de participer et alors qu’Adrian lit
les personnages masculins et Ana Maria les personnages féminins, le dialogue du
Marquis prend vie. Quand ils arrivent aux longs discours philosophiques de
Dolmancé, ils demandent à Juan Carlos de les lire. Juan Carlos interrompt
parfois sa lecture pour analyser les idées et reformuler les arguments du
Marquis sur la société, la nature et les instincts de l’être humain. Ils aiment
comment il leur explique la notion sadique de la liberté qui, pour eux, au
champ d’horizon limité, est quelque chose de nouveau, très différent de ce
qu’ils ont déjà entendu. Le Marquis croyait en la liberté absolue. Nous devons
reconnaître nos instincts et sauter tête première dans la nature humaine pour
faire l’expérience de l’extase, mêlé à la terreur et à la cruauté, contre
soi-même et contre les autres. « Sadisme » et « masochisme »
s’unissent dans les scènes du Marquis. La parole philosophique retrouve son
éclat, pour éclairer l’homme dans un moment d’obscurité.
Ils sont heureux, ils ont énormément
appris et Juan Carlos se sent justifié. Il croit réellement leur donner quelque
chose, probablement une leçon de vie. Il lui arrive aussi quelque chose de
spécial : il a une force spirituelle nouvelle. À son âge, les ardeurs de la
chair ne sont plus aussi importantes que la parole sacrée, qui sauve l’homme de
sa misère humaine. Par moments il a peur de la mort et se réjouit d’être en
compagnie de ces deux jeunes gens. Il sait qu’ils l’aiment, à leur façon.
Adrian observe qu’il s’est souvent senti
mal à l’aise avec la vie qu’il mène et que, grâce au Marquis, il a compris
qu’il ne fait rien de mal : il aime le plaisir. Ils souffrent de la cruauté de
ceux qui les jugent et les méprisent pour ne pas se soumettre à leurs lois
mesquines. On n’admet pas leur liberté individuelle, la société est misérable,
tyrannique et veut seulement faire de l’être humain son esclave.
Ana
Maria dit qu’ils ne sont pas comme tout le monde, ils sont libertins. Une force
les pousse à agir comme ils le font: la recherche du plaisir sans peur, sans
compromis.
Les
trois sont rentrés ressourcés à Buenos Aires. Le « retrait
spirituel », comme l’appelle Juan Carlos, a agi sur eux et les a
profondément transformés.
Juan
Carlos est retourné à son entreprise. Il commence à comprendre que les années
ont passé et qu’il s’est lassé de son travail. Il déteste la routine, bien que
ses employés fassent la majeure partie des tâches, c’est à lui de trancher et
prendre les décisions importantes, traiter avec les banques, investir
habilement le capital. Il se rend compte que sa fortune a augmenté
régulièrement au fil des ans et qu’il serait peut-être temps de vendre son
entreprise immobilière, investir l’argent à l’étranger, faire fructifier son
capital et vivre de ses rentes.
Quelques
semaines plus tard, Adrian a un problème sérieux: il est arrêté. Dans un bar de
nuit homosexuel, il a proposé à un policier en civil d’avoir une relation
sexuelle en échange d’argent. Apparemment, pendant son temps libre il faisait
taxi-boy. Juan Carlos va au commissariat, où le commissaire lui dit qu´il a été
mis en examen et que la situation est compliquée. Juan Carlos qui connait le
commissaire dit qu’Adrian est un peu écervelé mais que c’est un bon gars, c’est
son chauffeur, il fera en sorte que ça ne se reproduise plus. Finalement,
celui-ci comprend, accepte la quantité que propose Juan Carlos en pot-de-vin et
on retire les charges. Il revient chez lui avec Adrian, lui dit se tenir à
carreaux, de ne pas se mettre dans de mauvais draps et que s’il a besoin
d’argent il n’a qu’à lui demander. Il lui propose de quitter la pension où il
vit et de se louer son appartement, il l’aidera. Il a besoin d’être indépendant
et penser à son avenir. C’est un jeune homme intelligent et il voudrait lui
venir en aide. Adrian le remercie, il l’écoutera. Juan Carlos est comme un père
pour lui. Il n’a pas connu le sien, sa mère l’a élevé et la salle de sport a
été sa maison et sa famille de substitution. Mais on ne peut dominer le monde
avec les muscles, il doit préparer son avenir.
Ana
Maria aussi a changé. La situation avec son époux l’exaspère, elle ne le
supporte plus, il la fatigue, elle ne veut plus faire l’amour avec lui: c’est
un vieux. Et elle n’aime plus coucher avec Adrian, malgré ses muscles, elle
voit en lui une féminité. Ana Maria a recommencé à sortir seule dans les bars,
comme avant sa rencontre avec Adrian. Elle a appelé Marita, qui vit toujours
avec le banquier à San Isidro, mais n’a pas perdu son habitude de draguer dans
les bars. Elles se retrouvent aux comptoirs de Las Cañitas, un quartier où vont les riches. Marita
croise un jour un ami qu’elle lui présente, un quarantaine, plein aux as
d’après Marita. L’attirance entre Ana Maria et lui est immédiate. Ils
commencent à se voir tous les jours dans son appartement à Recoleta. Martin
l’admire, c’est la plus belle femme qu’il n’ait jamais vue. Son corps, ses
formes, sa peau, son pubis, ses seins sont parfaits, elle est sensuelle, son
regard le captive. Elle est faite pour l’amour. Il ne reste plus de femmes
comme ça à Buenos Aires. Elle est passionnée, sa sexualité est débordante. Ils
se retrouvent toutes les après-midis et restent ensemble jusqu’à minuit. Ils
boivent du champagne, aspirent de temps en temps un rail de cocaïne et font
l’amour sans s’arrêter, comme des athlètes du sexe. Juan Carlos remarque
immédiatement ses retards. Il voit aussi qu’elle ne veut plus coucher avec lui,
elle l’évite. Le weekend, elle dit qu’elle va chez sa mère à Moron. Juan Carlos
comprend qu’elle sort avec quelqu’un et il a vu juste: elle passe le weekend à
Montevideo avec Martin.
Martin
tombe éperdument amoureux d’elle et lui demande de quitter son mari. Ana Maria
ne sait pas quoi faire. Martin est riche, il a une société financière, le
business idéal, ses investissements se multiplient constamment. Il a des
contacts dans la politique qui lui font confiance. Il connait aussi des gens
dans le monde de la drogue qui ont besoin de blanchir leur capital. Un
excellent business. Il est veuf, sa femme est morte dans un accident de
voiture, il n’a pas eu d’enfants.
Ana
Maria ressent soudain le besoin de fonder une famille. Martin est attentionné,
il lui confie qu’il aime les enfants. Il veut se marier, il ne peut plus
attendre. Ils vont jusqu’à fixer la date du mariage, qui aura lieu dans un
country de Pilar et ils iront à Hawaii en lune de miel. Ils sont allés acheter
ensemble les anneaux, elle a choisi un anneau en platine avec un énorme diamant
et un diadème de saphirs avec un diamant au centre. Il ressemble au drapeau
argentin. Mais avant poursuivre les préparatifs, elle doit parler à Juan Carlos
et elle ne sait pas s’y prendre. Il s’en doute probablement mais Juan Carlos
est très amoureux d’elle, ça va le détruire. Finalement, elle a pris son
courage à deux mains et lui a tout avoué. Les yeux de Juan Carlos se sont
remplis de larmes, il s’est mis à ses pieds, l’a suppliée de ne pas le quitter.
Il lui a dit qu’il se tuerait. Ana Maria a souffert aussi. Elle l’aime à sa
façon, elle ne voulait pas lui faire du mal. Elle n’a jamais été vraiment
amoureuse de lui, comme elle n’est pas entièrement amoureuse de Martin. Ce
n’est pas bon pour une femme d’être folle amoureuse, elle doit penser à ses
intérêts. Elle est née pauvre, Martin lui offre tout ce qu’elle veut et dont
elle a besoin. L’important est que l’homme soit amoureux et qu’il lui serve
tout sur un plateau d’argent. Comme dit Marita, avec sa sagesse
picaresque : « Ce sont eux qui doivent bander, on peut faire l’étoile de
mer ».
Juan
Carlos comprend qu’il devra se faire une raison, il va s’en remettre,
rencontrer une autre femme. Ils règlent le divorce, elle lui demande seulement
ce qui lui revient, ils ont été mariés pendant six ans. Martin est riche. Juan
Carlos lui dit de partir avec la BMW, c’est sa voiture, il veut que personne
d’autre ne l’ait. Ils se mettent d’accord sur le pourcentage du capital acquis
ces dernières années qu’il lui versera. Juan Carlos a pleuré une dernière fois
devant elle et ils ont divorcé.
Adrian
est le seul qui comprend la situation dans laquelle il se trouve et il essaie
de l’aider. Juan Carlos se rend compte qu’Adrian l’apprécie. C’est un homme
attentionné, il cherche à faire l’amour avec lui, mais Juan Carlos le repousse:
il ne ressent de plus pour Adrian qu’une simple amitié, leur relation a fait
partie du jeu entre les trois. Juan Carlos l’avait embauché pour distraire sa
femme et l’éloigner du danger des bars et des amants potentiels.
Adrian
a changé, il raconte à Juan Carlos que les hommes l’intéressent plus que les
femmes, qu’il se sent mieux avec eux. Il cherche un couple stable, un homme un
peu plus âgé que lui, qui l’aimerait et le comprendrait. Il se rend bien compte
que Juan Carlos n’est pas disponible, qu’il voit leur jeu comme une aventure et
qu’il ne peut pas s’engager sérieusement.
Juan
Carlos est entré dans une phase dépressive qu’il ne sait contrôler. Après les
aveux d’Ana Marie et l’accord du divorce, il s’est absenté du bureau pendant
des semaines. Il a commencé à appeler des filles d’une agence de mannequins au
service de businessmen VIP pour qu’on lui en envoie. Arrivent chez lui des
filles canons et un lot de mignonnes. Sélectionnées avec soin. Il fait l’amour
avec elles. Il demande à une étudiante en droit, qui gagne sa vie avec ce
travail, de revenir. Mais il sent un grand vide. Pendant qu’il fait l’amour
avec les mannequins, l’image d’Ana Maria apparait, son corps sculptural, parfait.
Il ne peut jouir s’il ne pense pas à elle. Il remplace l’image de la fille avec
laquelle il couche par celle d’Ana Maria. Quand il ouvre les yeux, il se voit
dans ses bras une déesse, qui n’est pour lui qu’une poupée. Il ne sait pas
comment faire pour s’en remettre.
Il
a décidé de vendre son entreprise. Il a appelé son comptable pour l’informer de
sa décision. Le fond de commerce de l’entreprise immobilière a une bonne valeur
grâce à son bon fonctionnement sur le marché pendant plus de vingt ans. Il a
des actifs importants. Son comptable lui a conseillé d’inclure dans l’opération
une partie des biens immobiliers et d’en garder vingt pour cent comme revenus
rentiers. Ils ont calculé le capital commercial de l’entreprise. Une partie est
dans des banques aux Bahamas, bien à l’abri, et il ne paie pas d’impôts dessus.
Le reste se trouve sous forme de biens immobiliers répartis dans Buenos Aires
et sa province. Son comptable lui a conseillé de transférer l’argent dans une
banque aux Etats-Unis quand la vente sera faite. En Argentine, il est toujours
important d’avoir des dollars. Si les choses tournent mal, il pourra aller
vivre à Miami, le refuge des riches d’Amérique latine. Il pourrait y acheter un
appartement et en faire sa résidence principale pour réaliser ses opérations de
manière régulière et justifier les dépôts de fonds. Tout va bien se passer, il
a toujours eu de la chance. Ça prendra un certain temps de trouver un acheteur.
Il a mis quelqu’un à la gestion et lui a demandé de ne l’appeler uniquement si
c’est indispensable puis il a décidé de ne plus aller au travail.
Ana
Maria lui manque encore. Quand elle est partie, elle a oublié des vêtements
dans son placard et de temps en temps il les sort, les reniflent, les embrasses.
L’image d’Ana Maria s’est installée dans son esprit, elle l’obsède. Il ne
supporte plus Adrian mais il ne veut pas l’abandonner à son sort, il se sent
responsable de lui. Adrian vient toutes les après-midis chez lui pour lui tenir
compagnie. Juan Carlos lui dit qu’il voudrait l’aider et lui demande s’il
voudrait monter un commerce. Adrian répond qu’il a toujours rêvé d’ouvrir un
bar et maintenant qu’il connaît la movida homosexuelle de Buenos Aires,
il pourrait monter un bar gay. Juan Carlos veut le voir heureux: il lui prêtera
l’argent. Il peut chercher un local. Puis il ajoute qu’il n’a plus besoin de
ses services, ce n’est pas nécessaire qu’il vienne les après-midis. S’il a
besoin de lui, il l’appellera.
Il
reste complètement seul, sa dépression augmente. L’employée qui vient faire le
ménage trois fois par semaine le retrouve malpropre, pas rasé et souvent
malodorant. Il y a partout des restes de nourriture du restaurant voisin d’où
il se fait livrer chaque jour. Elle a lui proposé de passer tous les jours mais
il a répondu que ce n’est plus la peine. Il a commencé à boire, d’abord du vin
français, ensuite du whisky. Il se sent mal. Il a appelé Adrian pour qu’il lui
trouve de la drogue, celui-ci lui a ramené de la coke et de l’herbe. Puis il
l’a prévenu qu’il ne lui apporterait plus de cocaïne, c’est pour son bien, il
ne veut pas qu’il tombe dedans. Juan Carlos lui a donné raison, il ne veut pas
devenir accro. Ils ont décidé qu’il en prendra encore pendant quelques
semaines, pour ne pas arrêter brutalement. Il se sent très mal. Il n’arrive pas
à oublier Ana Maria, son souvenir le torture.
Il
s’est réfugié dans la lecture, il a pensé que ça pourrait l’aider. Il a relu Cicatrices
de Saer et Le tunnel de Sabato. Saer sait interpréter les situations
les plus extrêmes et Sabato a compris l’angoisse de l’homme. Il a relu Camus,
Voltaire dont il apprécie l’humour. Il en venu à ne plus supporter sa
dépression, il veut en sortir.
Quand
il était jeune, il écrivait de la poésie. Il s’est dit que, peut-être, s’il se
remettait à écrire, ça l’aiderait. L’écriture est une forme de catharsis. Il a
écrit des poèmes et s’en senti beaucoup mieux. Il boit moins, il évite de se
droguer. Il remarque que l’écriture est la meilleure drogue. Il regarde des
films sur son ordinateur, il a décidé de voir tous ces Rohmer. « Le rayon
vert » l’a passionné. Rohmer est un moraliste et un philosophe, cette
combinaison le séduit. Rohmer a compris les limites spirituelles et la
fragilité mentale de l’être humain.
Il
a parfois l’impression de frôler la crise de nerfs. Il sait qu’il a besoin de
soutien psychologique, mais il ne s’y résout pas. Il a fait dix ans de
psychanalyse quand il était jeune et il ne veut pas souffrir à nouveau. Il
voudrait juste être bien, retrouver la joie de vivre et le bonheur qu’il
sentait quand il était avec Ana Maria. Elle était toute sa vie. Pourquoi est-ce
qu’il l’a laissée partir ? Il aurait peut-être pu la retenir. Il se dit qu’il a
fait ce qu’il a pu. Il lui amené Adrian pour la garder près de lui et qu’elle ne
l’abandonne pas. Mais elle a fini par le quitter. Ni Adrian ni la femme de
ménage peuvent faire quelque chose pour lui. Ni un psychologue, probablement.
Il
a peur de perdre la tête. Il a décidé d’écrire une pièce de théâtre pour
exorciser ce mauvais sort. Il l’a appelée « La philosophie dans le
boudoir », comme le dialogue érotico-philosophique de Sade. Dans la pièce
il raconte son histoire avec sa femme et Adrian. Au début ils sont heureux,
Adrian semble être le remède idéal à l’ennui de sa femme. Ils vont au casino,
elle organise des orgies, se prostitue pour s’amuser. Finalement ils
s’enferment dans une maison pour lire La philosophie dans le boudoir.
Cette lecture les éclaire, les élève, ils comprennent l’importance de la
liberté absolue de l’Homme. Ils refusent la culpabilité, accusent la société de
castrer l’individu. Dans la pièce Adrian convainc Ana Maria qu’elle vit avec un
vieux qui n’a pas d’avenir. Ils décident de le voler et de s’échapper ensemble.
Quand le vieux, c’est-à-dire lui, se retrouve abandonné, il tombe en
dépression. Il ne supporte plus la situation, il prend une dose de
barbituriques pour se suicider.
Il
s’est rendu compte que cette fin pourrait bien être la sienne s’il ne
guérissait pas. Il n’avait pas de pensées suicidaires, mais a eu peur de tomber
dedans. Il ne supportait plus la souffrance, il allait mal, il a pris la
décision d’aller parler à un psychiatre. Il lui a expliqué tout ce qui s’est
passé, le psychiatre, un éminent médecin, a jugé bon de l’interner dans une
clinique. Il lui a dit que c’était temporaire. Il l’a mis sous médication, Juan
Carlos prend des antidépresseurs. Tous les après-midis il reçoit la visite d’un
psychologue qui lui parle et lui pose des questions sur sa vie. Le psychiatre
vient une fois par semaine, il l’examine et lui fait compléter des tests. Il
lui dit qu’il ne présente pas de signes de démence, il est en voie de guérison.
Il
a sa propre chambre dans la clinique. Elle est confortable, personne ne le
dérange. La clinique se situe dans un ancien hôtel particulier, la villa
possède un beau jardin arboré où les patients peuvent se promener. Il a apporté
plusieurs de ses livres et lit toute la journée. Il a aussi un ordinateur, il
surfe sur Internet, lit les journaux. Il téléphone parfois à Ana Maria, mais
elle ne répond pas. Il pense toujours à elle, désormais sans espoir de la
revoir.
Il
écrit de la poésie. Dans ses poèmes l’image de Dieu apparait fréquemment. Il
traverse une phase mystique. Quelque chose manque dans sa vie, pas seulement
Ana Maria. La littérature qu’il lit est le fruit d’écrivains professionnels qui
n’ont pas l’air d’avoir de véritables convictions. Il a besoin d’autre chose,
trouver un sens transcendant. Il est arrivé à cette conclusion après avoir fait
un rêve. Ce rêve est devenu récurrent et s’est transformé en cauchemar. Dans
celui-ci, un homme vêtu de blanc marche dans le désert. Il regarde autour de
lui et ignore où il est, il s’est perdu. Il se jette dans le sable et
s’abandonne, sans volonté. La mort s’approche, il appelle Dieu, qui ne vient
pas. C’est à ce moment qu’il se réveille, terrorisé.
Il
comprend qu’il a besoin de se rapprocher de Dieu pour ne pas être seul, comme
le personnage de son rêve, au moment de mourir et pour donner un sens à sa vie.
C’est un vieil homme, il a connu l’amour, l’érotisme, la décadence. Il a connu
le pouvoir que donne l’argent. Il a acheté tout ce qu’il voulait: les choses,
les gens. Mais maintenant qu’il arrive à la dernière étape de son existence, il
est seul. Il se trouve lâche, d’avoir peur après avoir profité de la vie. Il a
besoin de Dieu, il se demande qui est Dieu et en conclu qu’il est une
spiritualité plus grande. La poésie ne peut l’atteindre: il a besoin de prier,
méditer, il a besoin d’un guide spirituel.
Il
parle à son médecin, lui dit qu’il va mieux, qu’il se sent bien ici à la
clinique. Il n’a plus besoin de sortir, cette chambre le protège, mais il
voudrait partir dans un endroit où il aurait un guide spirituel.
Il
étudie les possibilités pour aller vivre dans un couvent, se renseigne sur les
différents ordres de Buenos Aires. Un couvent de dominicains dans le
centre-ville semble lui convenir idéalement. Il va parler au directeur, il
apprécie le lieu, il visite les cellules. Les téléphones et les ordinateurs
sont interdits, mais on peut y apporter des livres et de quoi écrire. Pour le
convaincre de sa sincérité, il montre sa poésie au directeur. C’est une poésie
mystique, qui réclame la présence de Dieu. Le père est ému à sa lecture, il lui
dit qu’il va demander au chef de l’ordre la permission pour qu’il vive un temps
avec eux, bien qu’il soit laïc. Il le présente à la communauté des frères. Juan
Carlos dit au directeur qu’il est riche et qu’il ne veut pas être une charge
pour le couvent. Il donnera à l’institution une généreuse contribution, il a
d’ailleurs pensé donner une partie de son argent à l’ordre. Les yeux du frère
se sont mis à briller, mais il a dit que l’argent n’est pas tout dans la vie.
La vérité est en Dieu. Juan Carlos a répondu qu’il était d’accord, il est lui aussi
arrivé à cette conclusion et c’est pour cela qu’il est ici.
Juan
Carlos est allé vivre au couvent. Il s’est installé dans une cellule. Il a
apporté une bonne quantité de livres et ses cahiers. Il est prêt à chercher ce
qui lui manque. Le secret est dans le coeur de l’homme, se répète-t-il. Le
coeur de l’homme est la terre de personne, il n’a pas de propriétaire. Il veut
se conquérir. Découvrir la divinité en lui et dans le monde. Il se rend compte
qu’il a trouvé sa place et qu’il pourrait y être heureux.
Traduction de Charlotte Coing
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