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sábado, 16 de marzo de 2019

Somedi soir, Cumbia



                           de Alberto Julián Pérez ©

Samedi soir, déjà très tard,
à l’heure où sortent dans Buenos Aires
les esprits inquiets,
je suis allé avec mon ami Pancho
à la discothèque de Constitution
Radio Studio, le Grand Géant,
l'un des clubs de musique tropicale
les plus célèbres de la ville.
Là on peut y écouter
les grandes stars de la cumbia,
les rois de la musique grupera,
et même profiter
des sélections aphrodisiaques
du DJ et grand gourou Machu-K,
le meilleur d’après la foule
qui remplit l’énorme dancing
les fins de semaine.
Pancho m'avait prévenu
que la princesse Karina, 
une de mes artistes préférées,
pour la douceur de sa voix
et son charisme,
chanterait ce soir-là,
et je ne pouvais pas la rater.

Nous avons pris un bus à Caminito
et laissé derrière les « fleurs » du Riachuelo.
Après avoir traversé Avenue Brown à La Boca
nous sommes entrés à San Telmo.
Quand le bus est arrivé sur Brésil
et Bernardo de Irigoyen, nous sommes descendus.
C'était l'entrée symbolique de Constitución, le quartier
ainsi appelé en hommage à notre Magna Carta.
Invoquant la muse de Rodrigo,
je lui ai demandé son autorisation nocturne,
et nous avons commencé à fredonner « Amour à louer »,
une de ses plus belles chansons :
« Amour à louer / qui ne m’en veut pas
d’être arrivé en retard; / amour à louer,/
Ton nom sur ma peau est tatoué; /
Amour à louer, peu importe de savoir
avec qui tu as été; /
amour à louer, / je voudrais pouvoir
mourir à tes côtés ! »

Nous sommes passés sous l'autoroute oppressante,
arcade haute et grise qui défigure
et dénigre le tracé urbain ancien et libre,
cicatrice de ciment qui nous fait sentir
la décadence du sud abandonné.
Voici l’oeuvre de destruction de la pioche
de l'intendant militaire de facto Osvaldo Cacciatore,
sinistre héritage des années 70.

(Le Brigadier a une importance symbolique
dans notre chronique : militaire délirant du Proceso,
il a couvert de deuil les Argentins avec ses crimes.
Son action militaire la plus mémorable
a été le massacre de la Plaza de Mayo, en 1955,
quand il a bombardé d'abord, puis mitraillé
avec son avion la maison du gouvernement
et la place en face d’elle,
tuant 400 civils sans défense.
En récompense, le conseil militaire du Proceso
l’a nommé, 21 ans plus tard, maire de la ville
de Buenos Aires. L’autoroute de Cacciatore
connecte aujourd’hui la gare Constitution
avec le camp d'extermination de l'Olympe,
où ses amis commandants
ont continué son travail. À la fin du Proceso
ils avaient assassiné 30 000 Argentins.
Après avoir traversé l’Olympe
l'autoroute se perd dans le vide
en un geste de haine nihiliste et suicidaire.
Elle a élargi la fissure,
blessure ouverte, douloureuse,
qui sépare les deux Argentines :
l'Argentine de l'oligarchie et ses complices alliés,
nationaux et internationaux,
de l'Argentine du peuple de Perón et Evita,
travailleur et ouvrier.)

Face à nous s’étendait
l'énorme Plaza de Constitución,
l'ancienne Playa de las Carretas.
Sur son marché arrivaient autrefois les fruits
de la pampa sauvage et romantique,
à côté des accents et des chansons
de ses gauchos et bouviers.
Nous avons traversé la gare,
maison agrandie de l'ancienne Estación del Sud,
joyau exquis de l'architecture publique
à la française, conçue, paradoxalement,
par un architecte anglais
et un autre nord-américain (ils se comprennent),
à la fin du 19 ème siècle.

Nous avons pénétré, heureux,
sentant déjà la passion canaille,
dans les rues voisines,
aux commerces colorés
de vêtements bon marché,
leurs bazars à 2 x 1
et leurs pizzerias louches,
fréquentés par les petites gens
cherchant quelque chose de sympa
et pas cher à porter, et par les putes
et les travestis qui font leurs essayages de mode
ou mangent une part avec double ration de mozzarella
pendant qu’ils offrent leurs services.

Nous avons laissé ces rues derrière nous,
elles n'étaient pas notre objectif noctambule.
Nous nous préparions à entrer une fois pour toutes
sur un terrain plus spirituel et stable :
celui de la tendresse chaude et du parfum
animal du samedi soir.
Nous étions en route pour la fête.
Bientôt nous sentirions l’arôme des jolies mômes
aspergées d’eau de cologne
et l'aura des hommes qui exhalent
leur parfum d'hormones.

Nous sommes arrivés à la magie de Radio Studio.
La grande salle de musique tropicale,
au coin de Salta et O'Brien,
nous reçoit avec sa façade
de lampes fluorescentes, qui reproduisent,
dans des couleurs multiples et frappantes,
les lignes stylisées du Parthénon grec.
Nous sommes entrés dans ce lieu, plein,
à cette heure, de belles filles attifées.
Leurs seins jeunes et généreux
débordaient des larges décolletés
des robes satinées et brillantes.
Perchées sur leurs talons hauts,
comme pour espionner
par la fenêtre du monde,
heureuses, riantes, malicieuses,
elles regardaient, curieuses,
du coin de l’oeil
les garçons autour d’elles.
Quand ils ne faisaient pas attention,
elles baissaient les yeux, sans être vues,
pour examiner leur entre-jambe.
Ceux-ci, à l’affut,
étaient toujours prêts à ouvrir bien grand
leurs poches
et offrir des bières blondes
en échange d'un simple baiser.

C'était la première fois que je venais
à ce dancing populaire,
avec l'intention avouée
d’écrire un poème ou peindre une fresque.
Je ne pouvais pas rater la nuit
de ce lumineux quartier
pour m’incruster
pendant mes virées canailles,
dans les discothèques des snobs complexés,
parvenus de Buenos Aires,
qui y célèbrent leurs artistes de rock neobarroso,
imitateurs envieux et serviles
des talents étrangers,
et méprisent l'art de leur peuple.

Les pauvres des dancings de Constitución
ont bon cœur. Ils sont les enfants
de cette tutrice sévère, la misère,
compagne égoïste, tant de fois
belle-mère des poètes.

Pour mon ami Pancho, paraguayen de Caacupé,
la patrie de la vierge, je suis un enfant blanc curieux,
amateur, qui met son nez partout,
mais il me pardonne, parce qu'il aime
ma poésie mélodramatique.
Je savais que notre visite ferait naître
un poème populaire et cumbiero
dont La Boca, notre quartier, serait fière.
Il faudrait prendre
les lumières de Constitution à la Ribera
et rendre au peuple
ce qui appartient au peuple,
et emmerder les riches
de la ridicule oligarchie d'opérette
qui nous gouverne. Il m'a fait promettre
sur Gauchito Gil, notre saint,
que je l'inclurais dans le poème.
Ici je remplis ma promesse.
Pancho est un bon ami et il m’enseigne
à parler en guarani, un de mes vieux souhaits.
Je suis né à Rosario,
dans la poitrine de la grande rivière,
par laquelle descend, au son de ses eaux,
la mélopée native de cette langue syncopée.
J'avais déjà appris que Dieu se dit «Tupa»,
soleil «Kuaray», aime «ayhn» et je suis «ché ha'e».
J’avais mémorisé le premier couplet
de la belle chanson « Colombe Blanche »
du grand compositeur paraguayen Neneco Norton,
qui dit : «Amanóta déchirement / guayrami
cage pe guáicha / parce que ndarakói consolation /
ma jolie colombe blanche. »

Nous avons repéré une place
au coin du comptoir,
l’endroit préféré des timides,
près de la queue des filles
qui attendant leur bière ou un fernet-coca,
et nous y sommes allés.
Nous avons traversé le territoire
des Don Juan mielleux
offrant aux amoureuses
leur coeur en feu.
La cumbia résonnait,
hétérodoxe mais sincère.
Le DJ mixait des rythmes banlieusards
avec de la musique cuartetera,
dans un contrepoint agité ;
sur la piste les couples dansaient,
secouant la fatigue accumulée de la semaine.
J'étais plus heureux qu’un gaucho
dans le poulailler du Théâtre Colón,
écoutant le Faust de Gounod,
ou qu’un damoiseau portègne
qui fouine où il ne devrait pas
(Ah, la curiosité, mère de tous les vices !).
Ainsi, en apprenant, nous, les argentins,
sommes arrivés loin, et formons
un peuple, bien que pauvre, heureux.

L'endroit était plein à craquer
et le public joue contre joue,
si proches que, presque, on s’embrassait.
Après DJ Machu-K sont passés Grupo Furia
de Berazategui et un groupe de chicha andine,
Markahuasi, arrivé directement du Pérou,
pour les jeunes de tous les pays amis
qui dansaient coude à coude.
La fête battait son plein, comme on dit.
La petite princesse Karina, soleil nocturne,
déesse aux hanches sensuelles,
arriverait plus tard,
vers deux heures du matin :
aucune soirée dansante
ne se calme avant quatre heures,
et la musique, presque toujours,
continue sur la piste jusqu'à cinq heures.
À l’aube arrivent au club
les ivrognes de crack et de marijuana
qui s’affalent dans les fauteuils
pour cuver leur cumbia.
Radio Studio est toujours ouvert,
24 heures sur 24, pour les nostalgiques,
les désespérés et ceux qui se réfugient
dans la nuit de Constitution
avec le diable au corps.

Avant le concert de la petite princesse,
un spectacle de danse a chauffé la salle.
Une belle fille des seins incroyables
 est apparue, en bikini, sur scène.
Une musique sensuelle jouait
et un spot de lumière chaude
était braqué sur elle.
La fille a grimpé autour d’une barre,
placée au centre de la scène,
comme un serpent lubrique,
et passait sa langue sur ses lèvres
en provoquant les spectateurs excités.
Beaucoup de couples
qui étaient sur la piste
sont venus regarder. Les demoiselles
se serraient contre les garçons,
pour voir à quoi elles auraient droit.
Les Don Juan caressaient
leurs petites amies,
alors qu'ils louchaient
sur la déesse de la barre
qui avait étudié dans une école de danse.
Son corps de gymnaste professionnelle
et ses formes sculptées
étaient une version parfaite de Vénus,
accompagnée de léopards accroupis,
et suivie à son départ
par un envol de pigeons.
Puis le numéro de la cage a eu lieu :
une belle fille y a été introduite
et soulevée au-dessus de la scène.
Au rythme d'une cumbia lente
elle bougeait sensuellement,
elle s’est déshabillée
jusqu'à laisser son corps juteux nu.
Un strip-teaser masculin a pris la suite :
le costaud a ôté son uniforme
sous les cris peu réprimés
de l’assistance féminine.
Ils étaient déjà tous mouillés
avec un tel spectacle,
chauds comme la braise,
quand le collé serré a commencé.
Le DJ a passé de la cumbia dure
et du reggeaton des banlieues.
Les garçons, sur la piste de danse,
prenaient les filles entre leurs jambes
dans des mouvements d’avant en arrière
avec une fureur sexuelle enchaînée
à la situation fébrile. Les filles jouissaient
avec les yeux fermés comme si de rien n’était,
tous d'accord pour s’amuser au maximum,
en profiter, c’est samedi soir.
Ils devaient soulager l'angoisse
accumulée dans la semaine.
C'était une danse libératrice.
Entre boissons et fellations,
coups de langues et doigts dans la fente,
leur âme revenait au corps.
Ça c'est la vie,
le peuple a le droit d’en profiter,
à chacun ses goûts.
Puis Karina est arrivée,
devant un public prêt et calmé,
la petite princesse,
la déesse blonde du dancing.
À ce moment-là, tout le monde avait déjà joui
et, chacun avec sa chacune,
on se préparait à écouter
ses chansons romantiques
et reprendre en choeur, heureux, les refrains.

Elle a apporté dans son corps et sa danse
tout le bonheur que nous espérions.
Vêtue d'une jupe noire moulante
et d'une chemise rouge,
elle ondulait ses hanches doucement
alors qu'elle égrenait ses chansons,
accompagnée de la musique savante
de son orchestre de cumbia.
Elle a commencé avec « Mens-moi »,
« Je t'emmène avec moi »,
« J'essaie de t’oublier ».
La foule des fans a explosé
quand elle a entamé
« Cœur menteur » :
«Menteur, cœur menteur, /
tu n'as pas de pardon, tu es fou, /
menteur, cœur menteur,/
tu t’en voudras/
quand je serai avec un autre. »
Nous chantions en choeur
en levant les bras,
les mains en l'air, les mains en l'air!
Nous suivions le rythme de la musique
comme dans un grand hymne tellurique
de samedi soir
dans ce club de Constitution, Radio Studio,
appelé à juste titre le Géant, près
de la gare des Trains du Sud,
où partent les âmes perdues
quittant la chaleur pour le froid.

Ma chanson préférée,
déjà dans ma mémoire,
a été « J’essaie de t’oublier »,
du grand compositeur Manuel Alejandro,
dans la version cumbiera,
douce et rythmée, de Karina.
Son petit ami, Kun Agüero,
le grand joueur de football
de Manchester City,
serait fier s’il pouvait la voir ce soir,
si sûre d’elle, sur scène,
offrant grâce et talent.
Mais il n’a pas pu venir,
ayant un match dans la vieille Angleterre,
notre ancienne grand-mère impériale,
si loin du monde de la pauvreté portègne.
« J'essaie de t'oublier, / en suivant la route
d'un oiseau blessé », chantait Karina,
« J'essaie de m’éloigner / de ces endroits
où nous nous sommes aimés. /
Je m’empêtre dans des amours /
sans désir ni force pour voir
si je t'oublie / et la nuit arrive
et je comprends encore
que j'ai besoin de toi. "

Le chagrin du grand Alexandre
nous a enveloppés
et on s’est laissé caresser
par la douceur de son lyrisme,
transformé en cumbia lente
dans ce quartier populaire de Buenos Aires.
Ici, toute l'Amérique latine
qui souffre et travaille, chante.
Elle mâche la rancune et le ressentiment
accumulés pendant la semaine
au rythme libérateur
de notre musique: cumbia noire,
cumbia colombienne et argentine,
cumbia prolétarienne, cumbia du peuple,
et se nettoie de la musique fausse
et effervescente de l'autre Argentine :
le rock servil d’importation
des classes moyennes racistes et complices.

Comme le temps passait vite !
Je voudrais qu’il file comme ça
pendant la semaine,
quand les pauvres travaillent
pour trois fois rien,
pour payer les factures des riches
de leur sang prolétaire méprisé !
Pendant la semaine
le temps ne passe pas.
On dirait que le week-end
n’arrivera jamais,
mais enfin un jour, Dieu merci,
c’est samedi soir,
et nous pouvons aller au dancing
et être libre un moment.
Nous gardons ensuite
la petite flamme de cet instant de joie
comme un trésor précieux,
vivant, dans notre coeur.
Voilà comment nous nous amusons,
les enfants de cette autre Argentine
dédaignée par les riches : nous les exclus,
les crève-la-faim, les racailles,
les petites têtes. Nous sommes
les barbares de Perón,
les barbares de Rosas.
C'est comme ça que nous appellent
ces civilisés qui travaillent
au service du Pentagone
et des multinationales,
ceux qui vendent le pays
pour quatre pesos,
et se remplissent la bouche
en parlant en anglais à leurs maîtres.
Libres nous sommes
de défendre la patrie,
face à ces cipayes qui nous mettent
un prix comme à des esclaves.

Le spectacle de Karina
dans le Grand Géant de Constitution
prenait fin.
Il était quatre heures du matin,
et nous avons commencé
à dire au revoir, à s’embrasser,
et emmener nos précieuses conquêtes,
butin de séducteur, avec l’approbation
et le consentement de la femme,
vers la sortie.

Moi aussi j'ai dansé cette nuit,
avec une petite brune de Villa Soldati
plaisante, pleine de gentillesse
et de courbes, et je me suis même pris
des bières. Ce que j’écris a le goût
des baisers et de la joie
de la cumbia des banlieues.
Est-ce que tu m'entends, cher lecteur ?
Je te parle de je ne sais où.
Le message est la vie. Convergent en lui
les voix des conversations voisines
et les métaphores fraternelles
de vers sentimentaux.
Ce que je comprends
et ne comprends pas du monde
qui nous entoure. Un jour
nous parlerons à Dieu
et nous ne savons pas
ce qu'il va nous dire.
Constitution est notre carte d'identité,
le quartier où les pauvres argentins
rencontrent les pauvres
de toutes les nations. Jusqu'ici
beaucoup sont venus
de la main de Nanderuguasú,
le grand-père, et jusqu’ici
sont arrivés, enlacés
les frères andins du Khunuqullu
et de l'Anti. Bienvenue à tous.

À la sortie du dancing
nous attendaient, avec
leurs nourritures prêtes,
les vendeurs de chipá
et de soupe paraguayenne,
anticucho paceño
et bouillon de piment fort
pour se débarrasser de l'ivresse,
et il y avait aussi le vendeur local
de nos chorizos, grillés
au charbon de bois.
Les jeunes sortaient du dancing -
marre de la bière - pour
manger un chori, commander
un anticucho de coeur,
ou un chipá guasú
pour se remplir le ventre,
puis partaient pisser dans la rue
à côté des poubelles.
Les garçons venant
des dancings à proximité
«Mbareté Bronco» et «Mburukujá»
commençaient à arriver,
et nous étions là, les pauvres argentins
avec les pauvres péruviens et paraguayens,
et les pauvres boliviens de Buenos Aires,
accompagnés par le public chéri
et sensible des filles des dancings,
avec leurs jupes courtes colorées
et leurs tops décolletés,
prêtes à rentrer à la maison,
seules ou accompagnées.
Nous, les travailleurs, sommes solidaires,
on se fait toujours une petite place
pour passer la nuit ensemble
et se réveiller au matin
dans les bras de l'amour.
Vivre comme ça en vaut la peine.

Ma mission de curieux remplie,
j'ai dit au revoir à la fête.
Ma petite brune est rentrée
chez elle avec sa soeur,
à Villa Soldati. Pancho avait disparu,
ce grand séducteur devait être occupé.
Je me suis dirigé vers la Ribera. Soudain
me sont revenus les vers de la cumbia
du Poulain Rodrigo, « Petite racaille »,
parsemés d'une magnifique compassion,
et j'ai commencé à chanter doucement
pendant que je traversais
l'avenue sous l'autoroute sinistre
du brigadier Cacciatore,
à cette heure tapissée
d’ivrognes et de clochards :
«Elle a quitté son village /
pour la ville. /
Elle cherche du travail /
loin de sa maison. /
Elle a laissé ses poupées, /
sa maman pleure./
Dans la jungle de ciment /
cette femme de ménage /
c'est le grand rendez-vous /
d’une autre petite racaille. »

Beaucoup de moments spectaculaires
du dancing - les lumières, l'érotisme,
le plaisir des gens - me sont revenus
et, en remontant Brésil vers La Boca,
j'imaginais à quoi ressemblerait
ce poème omnibus, ce que j’y dirais,
à qui je rendrais hommage.
Nous sommes une communauté vivante,
un sujet pluriel.
Voici le poème où l’Argentine boueuse
montre son humanité vulnérable
et la force de son amour.
De l'autre côté, derrière
un invisible et reconnu mur symbolique,
il y a l'autre Argentine,
celle des riches grotesques,
gorilles imitateurs
des exploiteurs meurtriers rapaces
qui ont pillé le monde.

Je suis arrivé au parc Lezama,
la frontière sud de San Telmo,
ancienne tour de guet
contre les envahisseurs et les flibustiers,
qui préside, du haut de son ravin,
les basses terres
de la République de La Boca,
où habite mon peuple,
et j'ai couvé du regard
l’avenue Brown serpentante,
qui longe la maison historique
de l'héroïque irlandais,
et les lumières bleues et jaunes
du stade de Boca Juniors,
qui brillaient au loin, éternelles.

Je suis resté là un moment,
jusqu’au lever du jour
et j’ai été heureux.
J'ai remercié Dieu d'être né poète artisan,
héritier privilégié de l'âme de la langue,
et je lui ai demandé
de me donner l'inspiration
pour peindre avec justice
l'âme généreuse de mon peuple.

Je veux joindre dans ma chronique
la poésie à l'histoire de mon peuple
et ses luttes politiques,
le chant cumbiero
des pauvres d'aujourd'hui
à l'âme rimée dont nous avons hérité
des gauchos de notre terre.
On peut ainsi fonder la nouvelle Argentine,
contre le racisme des classes moyennes,
contre l'élitisme des privilégiés,
contre l'exploitation impitoyable des riches,
contre le matérialisme
sans esprit de notre temps.
L'Argentine fraternelle des gauchos de coeur
et des masses libres, affranchies, de demain.

Túva-ysyry, Taita-ysyry,
père fleuve, père des eaux,
écoute notre prière sincère
de l'âme du Riachuelo qui chante,
de notre quartier ouvrier
qui avec sa poésie résiste
dans l'estuaire du Plata.
Notre Jésus, fils du Dieu, avec le coeur
nous t'appelons, pécheurs,
nous sommes tes ichtus, tes poissons,
accorde-nous la paix,
et pardonne nos dettes
comme nous pardonnons à nos débiteurs.

                           Traduit par Charlotte Coing




Sábado a la noche, cumbia

                  de Alberto Julián Pérez

El sábado a la noche, ya muy tarde,
a la hora en que salen en Buenos Aires
los espíritus inquietos,
fuimos con mi amigo Pancho al bailable de Constitución
Radio Studio, el Gran Gigante,
uno de los clubes de música tropical
más afamados de la ciudad. Allí se pueden escuchar
a las grandes estrellas de la cumbia,
a los reyes de la música grupera,
y hasta deleitarse con las selecciones afrodisíacas
del DJ y gran gurú Machu-K, considerado el mejor,
por la muchedumbre que llena la enorme bailanta
los fines de semana. Pancho me había avisado
que esa noche cantaba la Princesita Karina,
una de mis artistas favoritas, por la dulzura de su voz
y su carisma, y no podía perdérmela.

Subimos a un colectivo en Caminito.
Atrás quedaron las flores del Riachuelo.
Atravesamos la Avenida Brown en La Boca;
nos internamos en San Telmo y, al llegar a Brasil
y Bernardo de Irigoyen, descendimos.
Era la entrada simbólica a Constitución, el barrio
así llamado en homenaje a nuestra Carta Magna.
Invocamos a la musa de Rodrigo,
solicitando su autorización nochera,
y nos pusimos a tararear “Amor de alquiler”, 
una de sus canciones más bellas:
“Amor de alquiler/ que no me reprochas
que tarde he llegado,/ amor de alquiler,/
tu nombre en mi piel lo llevo tatuado;/ 
amor de alquiler,/ no importa saber
con quien has estado,/ 
amor de alquiler,/ quisiera poder
morirme a tu lado!”

Pasamos por abajo de la opresiva autopista
elevada, sucia y gris arcada que afea
y denigra la antigua y libre traza urbana,
cicatriz de cemento que nos hizo sentir
la decadencia del sur abandonado.
Fue obra de destrucción de la piqueta
del Intendente militar de facto Osvaldo Cacciatore,
de siniestro legado, durante los años setenta.

(El Brigadier tiene una importancia simbólica
en nuestra crónica: delirante Militar del Proceso,
enlutó a los argentinos con sus crímenes.
Su acción militar más recordada
fue la masacre de Plaza de Mayo, en 1955,
cuando bombardeó  primero y luego ametralló
con su avión la Plaza y la Casa de Gobierno,
asesinando a 400 civiles indefensos.
En premio, la Junta Militar del Proceso
lo designó, 21 años después, Intendente en ejercicio
de Buenos Aires. La Autopista de Cacciatore
hoy conecta a Constitución
con el Campo de exterminio del Olimpo,
donde sus Comandantes amigos
continuaron su obra. Al final del Proceso
habían asesinado a 30.000 argentinos.
Después de pasar por el Olimpo
la autopista se pierde en el vacío,
en un gesto nihilista y suicida de odio
y de impotencia. Profundizó la grieta
y herida abierta, dolorosa,
que separa a las dos Argentinas:
la Argentina de la oligarquía y sus aliados cómplices,
nacionales e internacionales,
de la Argentina del pueblo de Perón y Evita,
trabajador y obrero.)

Se extendía frente a nosotros
la enorme Plaza de Constitución,
la antigua Playa de las Carretas,
a cuyo mercado antaño llegaban los frutos
de la agreste y romántica pampa,
junto a los acentos y cantos
de sus gauchos y troperos.
Atravesamos la Estación de Trenes,
ampliada casa de la vieja Estación del Sud,
exquisita joya de la arquitectura pública
de estilo francés, diseñada, paradójicamente,
por un arquitecto inglés
y otro norteamericano (entre ellos se entienden),
a fines del siglo XIX.

Nos internamos, dichosos, sintiendo ya
la pasión del malevaje, por las calles vecinas,
con sus coloridos negocios de ropa barata,
sus piringundines al 2 x 1
y sus torvas pizerías, frecuentadas
por la gente menuda, que busca algo lindo
y barato que ponerse, y por las putas
y travestis que, mientras se prueban
la ropa de moda,
o comen una porción con doble musarela,
ofrecen sus servicios.

Dejamos atrás esas calles, no eran
nuestro objetivo nochero. Nos dispusimos
a entrar de una vez por todas
en un terreno más espiritual y firme:
el de la caliente ternura y el perfume animal
de la noche del sábado.
Nos dirigimos al baile. Pronto sentiríamos
la esencia de las lindas chirusas
bañadas en colonia
y el aura de los varones que exhalaban
su fragancia de hormonas.

Llegamos a la magia de Radio Studio,
el gran salón de música tropical,
en la esquina de Salta y O´Brien,
que nos recibió con su fachada
de luces fluorescentes, que reproducen,
en múltiples y llamativos colores,
las líneas estilizadas del Partenón griego.
Entramos al local, repleto, a esa hora,
de bellas chicas engalanadas,
que exhibían sus pechos jóvenes y generosos
por los amplios escotes de sus vestidos
de tela satinada y brillante. Subidas
a sus altísimos tacones, como para espiar
por la ventana del mundo, felices, rientes,
pícaras, miraban, curiosas, de reojo,
a los muchachos vecinos, y, cuando se descuidaban,
bajaban la vista, inadvertidas, para auscultar
el bulto de sus entrepiernas. Estos,
listos para lo que sea,
estaban dispuestos siempre a abrirles bien
el bolsillo, y comprarles muchas cervezas rubias
a cambio de un simple beso.

Era la primera vez que yo venía
a esta popular bailanta,
con la intención confesa
de escribir un poema o pintar un fresco.
No podía ser que me perdiera la noche
de esta encendida barriada
por estar entrometiéndome, indebidamente,
en mis traviesas incursiones nocturnas,
en las discotecas de los acomplejados snobs
del mediopelo porteño, que celebran
a sus artistas de rock neobarroso,
imitadores envidiosos y serviles
del talento extranjero,
y tienen a menos el arte de su pueblo.

Los pobres de las bailantas de Constitución
son buenos de corazón, hijos
de esa tutora severa, la miseria,
compañera egoísta, tantas veces madrastra
de los poetas.

Para mi amigo Pancho, paraguayo, de Caacupé,
la patria de la virgen, yo era un blanquito curioso,
aficionado, que metía la nariz en todos lados,
pero me perdonaba, porque le gustaba mi poesía
melodramática y sabía que de esta visita
saldría un poema popular y cumbiero,
del que estaría orgullosa toda La Boca,
nuestro barrio. Llevaría las luces de Constitución
a la Ribera, y le devolvería al pueblo
lo que es del pueblo, dándoles por el culo a los ricos
y a la ridícula oligarquía de opereta
que nos gobierna. Me hizo prometer
por el Gauchito Gil, nuestro santo,
que lo incluiría en el poema. Por supuesto
que lo haré, y aquí cumplo. Pancho
es un buen amigo y me está enseñando
a hablar en Guaraní, un antiguo deseo mío,
que nací en Rosario, en el pecho del gran Río,
por el que desciende, con el rumor de sus aguas,
la melopea autóctona de esa lengua sincopada.
Ya había aprendido que Dios se dice « Tupá »,
sol « Kuaray », amor « ayhn », y yo soy « Ché ha´e ».
Estaba memorizando además la preciosa canción
« Paloma blanca » (ya sabía la primera estrofa)
del gran compositor paraguayo Neneco Norton,
que dice : « Amanóta de quebranto/ guayrami
jaula pe guáicha/ porque ndarakói consuelo/
 mi linda paloma blanca”.

Vimos un lugarcito libre a un lado de la barra,
lugar preferido de los tímidos,
cerca de donde hacían cola las chicas
buscando su cerveza o su fernet con coca,
y hacia allí fuimos. Pasamos la región
de los acaramelados galanes, que ofrecían
en esos momentos a sus enamoradas
el corazón en llamas. La cumbia sonaba,
heteredoxa pero sincera. El DJ
combinaba ritmos villeros con música
cuartetera, en un contrapunto movido,
y en la pista bailaban las parejas,
sacudiendo el cansancio acumulado en la semana.
Me sentía más contento que gaucho
en el gallinero del Colón, viendo el Fausto
de Gounod, o que pituco porteño
yendo a curiosear donde no le corresponde
(¡ah, la curiosidad, madre de todos los vicios !).
Así, aprendiendo, aprendiendo,
los argentinos llegamos lejos
y somos un pueblo, aunque pobre, feliz.

El lugar se había llenado
y estaban las humanidades aliento con aliento,
casi nos besábamos de tan cerca.
Al DJ Machu-K le siguió el Grupo Furia,
de Berazategui, y un conjunto de chicha andina,
Markahuasi, llegado directamente del Perú,
para los jóvenes de todas las naciones
hermanas que danzaban codo con codo.
Se había armado bien el baile, como se dice.
La Princesita Karina, sol nocturno,
diosa de caderas sensuales, iba a entrar más tarde,
como a las dos de la mañana,
porque ninguna fiesta bailantera
amaina antes de las cuatro,
y la música sigue en la pista
hasta las cinco. Después de esa hora
empieza a llegar la gente que amanece,
los ebrios de crack y marihuana,
que se tienden en sus sillones
para dormir su cumbia.
Radio Studio está siempre abierto,
las 24 horas, para los nostálgicos,
los desesperados y los que se refugian
en la noche de Constitución
con el diablo en el cuerpo.

Antes del show de la Princesita,
y para que entráramos en calor,
presentaron un show de danza.
Apareció en el escenario una chica preciosa,
en bikini. Tenía unas tetas increíbles.
Sonó la música envolvente
y un spot de luz cálida la enfocó. 
Se trepó a un caño, colocado
en el centro de la escena,
como una serpiente lúbrica.
Se pasaba la lengua por los labios,
Provocando a los mirones excitados.
Muchas parejitas que estaban en la pista
se acercaron a mirar.
Las muchachitas se apretaban a los chicos,
a ver qué les tocaba a ellas. Los donjuanes
acariciaban a sus hembritas, 
mientras se relamían de goce
con la diosa del caño,
que había estudiado
en una academia del rubro
y tenía un cuerpo de gimnasta profesional.
Sus formas contorneadas
eran una versión perfecta de Venus,
acompañada de leopardos agazapados y todo,
y seguida a su partida por una fuga de palomas.
Luego vino el número de la jaula:
se introdujo en ella una muchacha
y la elevaron sobre la escena.
Al ritmo de una cumbia lenta, moviéndose
sensualmente,  se fue quitando las ropas
hasta dejar su jugoso cuerpo al desnudo.
La siguió un strip-tease masculino :
un pato vica se fue desnudando
ante el griterío poco recatado
de la asistencia femenina. Ya estaban
todos mojaditos con semejante espectáculo,
calientes a más no poder,
y allí arrancó el perreo. El DJ
puso cumbia dura y regatón villero.
Los muchachos, en la pista de baile,
se les acomodaban a las chicas entre las piernas
y les daban hacia atrás y adelante,
con una furia sexual encadenada
a la situación febril. Las chicas se venían
con los ojitos cerrados como si nada,
todos de acuerdo en pasarla lo mejor posible,
en gozar, el sábado a la noche.
Necesitaban descargar la angustia
acumulada en la semana.
Ese era un baile liberador, salvador.
Entre tragos y mamadas,
chupaditas y deditos en la raja,
sentían que les regresaba
el alma al cuerpo. Esa era vida,
tiene derecho a divertirse el pueblo,
a cada uno lo suyo. Después, ya  preparada
y más calma la platea, llegó Karina,
la Princesita, la rubia diosa bailantera.
Para entonces, ya todos se habían venido,
y abrazadito cada uno a lo que le corresponde,
se dispusieron a escuchar sus canciones románticas
y corear felices los estribillos.

Trajo en su cuerpo y en su baile
toda la felicidad que esperábamos.
Vestida de falda negra ajustada y camisa roja,
Contorneaba sus caderas dulcemente
mientras desgranaba sus canciones,
acompañada por la sabia música
de su orquesta cumbiera.
Atacó, entre otros bellos temas, « Miénteme »,
« Te llevo conmigo », « Procuro olvidarte ».
La multitud de fans explotó
cuando empezó a cantar « Corazón mentiroso » :
« Mentiroso, corazón mentiroso,/
no tienes perdón, estás muy loco,/
mentiroso, corazón mentiroso,/
te vas a arrepentir cuando esté con otro. »
Todos tarareábamos y cantábamos
y levantábamos los brazos,
¡manos arriba, manos arriba!,
para seguir el compás de la música,
como en un gran himno telúrico
de sábado a la noche,
en este club de Constitución, Radio Studio,
bien llamado el Gigante, muy cerca
de la Estación de los Trenes del Sur,
de donde parten las almas perdidas
que van del calor al frío.

Mi canción favorita, ya para el recuerdo,
fue “Procuro olvidarte”,
del gran compositor Manuel Alejandro,
en la versión dulce y acompasada,
de arrastre cumbiero, de Karina. Lo orgulloso
que estaría el Kun Agüero, su novio,
el gran jugador de fútbol del Manchester City,
si pudiera verla esta noche, tan dueña de sí,
en el escenario, regalando gracia y talento.
Pero no pudo venir, tenía partido
en la anciana Inglaterra, nuestra antigua abuela
imperial, tan lejos del mundo de la pobreza porteña.
“Procuro olvidarte,/ siguiendo la ruta
de un pájaro herido”, cantaba Karina,
“procuro alejarme,/ de aquellos lugares
donde nos quisimos/ me enredo en amores/
sin ganas ni fuerzas por ver si te olvido/
y llega la noche
y de nuevo comprendo que te necesito.”

El desconsuelo del magno Alejandro nos envolvió
y nos dejamos acariciar
por la suavidad de su lirismo,
transformado en lenta cumbia
en este barrio popular de Buenos Aires.
Aquí, toda la Latinoamérica que sufre y trabaja,
canta. Mastica el rencor y el resentimiento
acumulado durante la semana
al ritmo liberador de la música nuestra:
cumbia negra, cumbia colombiana y argentina,
cumbia proletaria, cumbia del pueblo,
y se limpia de la música falsa y efervescente
de la otra Argentina: el rock servil de importación
de las clases medias racistas y alcahuetas.

¡Qué rápido pasaba el tiempo!
¡Ojalá corriera así durante la semana,
cuando los pobres trabajamos por monedas,
para abonar las cuentas de los ricos
con nuestra subestimada sangre proletaria!
Durante la semana el tiempo no pasa nunca.
El fin de semana parece que no viene,
pero finalmente un día, gracias a dios,
llega el sábado a la noche, y se puede ir al baile
y ser libre por un rato. Guardamos luego
la llamita de ese instante de goce
como un tesoro preciado, viviente, en el corazón.
Así nos divertimos los hijos de esta otra Argentina,
Despreciada por los ricos: los excluidos,
los negros de mierda, los grasas, los cabecitas.
Somos los bárbaros de Perón, los bárbaros de Rosas.
Así nos llaman esos civilizados
que trabajan al servicio del Pentágono
y las multinacionales, esos que venden al país
por cuatro pesos, y se llenan la boca hablando en inglés
para sus amos. Libres somos nosotros
de defender la patria,
ante esos cipayos que nos ponen precio,
como a viles esclavos.

El show de Karina en el Gran Gigante
de Constitución ya terminaba.
Se habían hecho las cuatro de la mañana,
y empezamos a despedirnos, abrazarnos
y llevar nuestras preciosas conquistas,
botín de seductor, con visto bueno
y consentimiento de la hembra, hacia la salida.

Yo también bailé esa noche
con una morochita de Villa Soldati
que daba gusto, tanta bondad y formas generosas,
y hasta me tomé mis cervezas.
Así que lo que escribo
está salpicado del gusto de los besos y de la alegría
de la cumbia villera. ¿Me escuchás lector amigo?
Te hablo desde yo no sé donde. El mensaje es la vida.
Confluyen en él las voces de conversaciones cercanas
y metáforas fraternas de versos consentidos.
Lo que entiendo y lo que no entiendo del mundo
que nos rodea. Un día hablaremos con dios
y no sabemos qué va a decirnos.
Constitución Nacional es nuestra carta de identidad,
el barrio en que se unen los pobres argentinos
a los pobres de todas las naciones. Hasta aquí
han venido muchos de la mano de Nanderuguasú,
el gran padre, y hasta aquí abrazados llegaron
los hermanos andinos del Khunuqullu y el Anti.
Bienvenidos sean.

A la salida del baile nos esperaban,
con sus manjares listos,
los vendedores de chipá y sopa paraguaya,
anticucho paceño y caldo fuerte de ají
para quitarse la borrachera,
y allí estaba también el vendedor criollo
de nuestros choripanes, asaditos al carbón.
Salían los jóvenes del baile
hartos de cerveza a comerse un chori,
o pedían un anticucho de corazón,
o un chipá guasú para llenarse la panza,
y se iban después mansitos a mear en la calle
junto a los contenedores de basura.
Empezaron a llegar los muchachos
que venían de las bailantas cercanas,
« Mbareté Bronco » y « Mburukujá »,
allí estábamos los argentinos pobres
junto a los pobres peruanos y paraguayos,
y a los bolivianos pobres de Buenos Aires.
Nos acompañaba la preciada y sentida concurrencia
de chicas bailanteras, con sus coloridas faldas cortas
y blusas escotadas, dispuestas a ir a casa,
solas o acompañadas.
Los trabajadores somos solidarios,
siempre nos hacemos un lugarcito
para pasar la noche
y amanecer en brazos del amor.
Es que vivir así vale la pena.

Ya cumplida mi misión de curioso,
me despedí de la fiesta. Mi morochita
se fue con su hermana a su casa
en Villa Soldati. A Pancho ya no lo vi,
estaría ocupado el muy seductor.
Enfilé hacia la Ribera. De pronto vinieron
a mi mente los versos de la cumbia
del Potro Rodrigo, « Cabecita »,
mechados de magnífica compasión,
y me puse a cantar bajito, mientras atravesaba
la avenida bajo la autopista nefasta
del Brigadier Cacciatore, a esa hora tapizada
de borrachos y vagabundos:
« Ella se fue de su pueblo/ a buscar trabajo,
allá en la ciudad/
ahora está lejos de casa,/dejó las muñecas,/
llora su mamá./
Y en esta jungla de cemento/
que a ella la trajo a buscar trabajo/
esa muchacha por horas/
hoy es la gran cita/ de otro cabecita.”

Se me hicieron presentes
muchos momentos espectaculares del baile
- las luces, el erotismo, el goce de la gente –
y en mi mente, mientras caminaba
por Brasil hacia La Boca,
fui imaginando como sería este poema-ómnibus,
qué diría en él, a quién le rendiría homenaje.
Somos una comunidad viva, un sujeto plural.
Este es el poema donde la Argentina de barro
enseña su vulnerada humanidad
y la fuerza de su amor.
Del otro lado, tras un invisible y reconocido
muro simbólico, está la otra Argentina,
la de los ricos grotescos, gorilas imitadores
de los rapaces explotadores asesinos
que han saqueado al mundo.

Llegué a Parque Lezama, frontera sur de San Telmo,
antigua atalaya contra invasores y filibusteros,
que preside, desde su alta barranca,
las tierras bajas de la República de La Boca,
donde habita mi gente,
y observé con deleite el viboreo descendente
de la avenida Brown, que bordea la Casa histórica
del heroico irlandés, y las luces azules y amarillas
de la Cancha de Boca,
que brillaban a lo lejos, siemprevivas.

Allí me quedé un rato, hasta que empezó a amanecer
y me sentí feliz. Agradecí a Dios el haber nacido poeta
artífice, heredero privilegiado del alma de la lengua,
y le pedí que me diera inspiración
para retratar con justicia el alma generosa de mi pueblo.

Quiero unir en mi crónica
la poesía con la historia de mi gente
y sus luchas políticas,
el canto cumbiero de los pobres de hoy
con el alma rimada que heredamos
de los gauchos de la tierra.
Podemos así fundar la nueva Argentina,
contra el racismo de las clases medias,
contra el elitismo de los privilegiados,
contra la explotación despiadada de los ricos,
contra el materialismo sin espíritu de nuestro tiempo.
La Argentina fraterna de los gauchos de corazón
y de las masas libres, manumisas, del mañana.

Túva-ysyry, Taita-ysyry,
padre río, padre de las aguas,
escucha nuestros sentidos ruegos
desde el alma del Riachuelo que canta,
desde nuestro barrio obrero
que con su poesía resiste
en el Estuario del Plata;
Jesús nuestro, hijo de Dios,
con el corazón te llamamos, pecadores;
somos tus ichtus, tus peces, danos la paz,
y perdona nuestras deudas como nosotros
perdonamos a nuestros deudores.














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