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martes, 25 de junio de 2019

Une visite au zoo



d´Alberto Julián Pérez

Robertito Vicuña, ou Tito, comme on l’appelait, vivait dans la Villa 31[1]. Il avait quinze ans. Ses deux meilleurs amis, la Garza et le Rulo, étaient un peu plus jeunes que lui. Ils traînaient toujours ensemble. Ils étaient plus malins que les autres et tous les gamins de la Villa les respectaient. Un puntero[2] de la Villa, du nom de Merlo, vint voir un jour Tito. Il voulait lui parler d'un truc important. Il avait un boulot pour lui et ses potes. Il s'agissait de voler un animal du zoo de Buenos Aires. Tout était arrangé avec le directeur du zoo, qu'il connaissait. Le coup allait rapporter gros. Le directeur laisserait la porte principale toute la nuit déverrouillée pour que le camion qui servirait au transport puisse entrer. Tito devait s'introduire dans le zoo avec les autres gamins et ligoter les deux gardiens. Il lui donnerait un calibre, au cas où. Après cela, ils devaient surveiller si la police arrivait. Ils contacteraient le chauffeur par téléphone. Il promit à Robertito 5 000 pesos. C'était beaucoup d'argent. Avec ça, il pouvait s'acheter une paire de Adidas neuves et des survêtements de marque. C'était un travail facile, lui dit le puntero. Il donnerait 1000 pesos chacun aux deux autres. Ce serait lui le chef. Ce serait lui aussi le responsable. Il n'avait pas le droit à l’erreur. Tito demanda au puntero quel animal ils allaient voler. Merlo le flingua du regard. Il le saisit par la chemise, le tira jusqu'à lui et le souleva presque du sol. C'était un homme grand et gros. Il lui dit qu'il s'en rendrait compte en temps voulu. En attendant, ils devaient garder leurs bouches bien fermées. Ils avaient intérêt à filer droit parce que lui, personne ne le prenait pour un abruti. Tito savait à qui il avait affaire. Tout le monde avait peur de Merlo. On racontait qu'il avait liquidé quelqu'un et pas du tout à la loyale.
Il en parla avec ses amis et ils tombèrent d'accord pour faire le coup. L'opération aurait lieu dans la nuit de mardi. Le jour dit, ils se mirent en route vers le zoo. Ils attendirent près de l'entrée. On était en septembre et il faisait assez chaud. Il y avait une odeur horrible. À vingt-deux heures, ils s'approchèrent de la porte et essayèrent de l'ouvrir. Comme l'avait dit Merlo, la porte n'était pas fermée à clef. Ils poussèrent, elle céda. Ils entrèrent. Tito marchait devant, le Rulo et la Garza le suivaient. Ils étaient un peu plus petits que lui. Le Rulo était un gars à la peau mate et aux cheveux bouclés. La Garza était maigre comme un clou, on aurait dit qu'il marchait sans toucher le sol. Le zoo était peu éclairé. Les lumières gênaient les animaux.
Ils avancèrent prudemment, en se cachant derrière des troncs d'arbres. Ils arrivèrent bientôt à la zone des cages. Non loin, à côté de la cage d'un lion, ils virent un des gardiens. Il était en train de réviser la serrure. Tito s'approcha en douce par derrière et lui donna un coup de crosse sur la tête. Le gardien plia les genoux. Le Rulo le bâillonna avec du ruban adhésif et la Garza lui couvrit la tête avec un sac de toile. À trois, ils attachèrent ensuite les pieds et les mains, le traînèrent et le planquèrent derrière un arbre.
Ils cherchèrent l'autre gardien. Il était près de la cage aux vipères. Tito suggéra, pour se marrer, de le mettre dans la cage aux vipères et les deux autres célébrèrent l'idée. En voilà une bonne. Tito s'approcha de lui par derrière et l’assomma d'un coup de crosse. Il répétèrent ensuite l'opération qu'ils avaient fait avec le premier : ils le bâillonnèrent, lui couvrirent la tête, le ligotèrent et le planquèrent. Tito sortit son téléphone et fit le numéro qu'on lui avait donné. Le camion arriverait dans quelques instants, leur dit-on. Ils allèrent à la porte d'entrée et ouvrirent le portail. Le camion se pointa après quelques minutes. Il entra. Les gamins fermèrent le portail. Le camion avança. Ils le suivirent à pieds. Il s'arrêta deux cent mètres plus loin et le chauffeur descendit avec son accompagnateur. Sans rien dire, ils s'approchèrent d'une cage. C'était celle du tigre blanc, l'animal le plus précieux du zoo.
Tito comprit à l'instant : ils allaient voler le tigre blanc. « Le scandale que ça va faire quand ça se saura... » pensa-t-il. Le chauffeur observa la cage avec prudence. L'arrière du camion était couvert d'une bâche. Le chauffeur et l'accompagnateur le découvrirent. Apparut une cage avec des barreaux de fer. Le chauffeur approcha l’arrière du camion de la cage du tigre. L'idée était de l'ouvrir et de faire passer le fauve à l'intérieur du camion. Le chauffeur et son accompagnateur apportèrent un chalumeau et commencèrent à découper la serrure de la cage. L'animal à l'intérieur s'était blotti dans un coin, prêt à se défendre. Finalement, ils ouvrirent la porte et le chauffeur accoupla l'arrière du camion à l'entrée de la cage. Le tigre devait passer d'une cage à l'autre. Le chauffeur lui mit un coup de tazer. L'animal gémît de douleur, se leva et en deux coups de pattes se retrouva dans le camion. Ça avait été facile. Le chauffeur sépara le camion de la cage du zoo et son assistant ferma la porte avec un grand cadenas. Ils recouvrirent la cage du camion avec la bâche. Toute l'opération avait duré une demi-heure.
Les gamins allèrent jusqu'au portail du zoo, ouvrirent et le camion sortit. Puis ils s'en allèrent à leur tour en marchant, comme s'il ne s'était rien passé. Avenue Santa Fé, ils prirent le bus 152 et rentrèrent à la Villa. Le puntero Merlo les attendait. Il savait déjà que tout s'était bien passé. Il leur donna l'argent et leur dit de faire attention et de se faire remarquer le moins possible pendant plusieurs jours. Robertito lui rendit le pétard, rangea son argent et alla dormir. Le lendemain matin, il avait cours. Il était en troisième. Il allait au collège Nacional 3 de San Telmo. C'était un bon élève. Il voulait devenir ingénieur et construire des ponts. C'est ainsi qu'il disait.
Le jour suivant, le journal télé annonça que le tigre blanc du zoo avait été volé. On accusait une bande de voleurs d'Uruguay. On ne savait pas où pouvait se trouver le tigre. On spéculait que le séquestre pouvait avoir été commandité par un narcotrafiquant connu, qui collectionnait les animaux sauvages et avait son propre zoo à l'air libre dans une de ses estancias de la Pampa. Il y avait aussi des rumeurs selon lesquelles des fonctionnaires pouvaient avoir étés impliqués dans le vol.
En fin d'après midi, Tito rentra du collège et retrouva ses deux amis, qui allaient dans un collège d'éducation prioritaire de la Villa. Ils allèrent en centre-ville pour voir des vêtements de sport. Tito s'acheta les baskets dont il rêvait et un ensemble t-shirt et jogging Adidas. Ils allèrent ensuite chez les coréens de Barrio 11 pour que la Garza et le Rulo s'achètent des imitations. Ils n'avaient pas assez pour les originales.
La police informa tous les jours des progrès de l'enquête. C'était un scandale. Il n'était pas possible qu'un animal aussi important disparaisse. On fit une interview du directeur du zoo. Il dit que l'enquête avançait rapidement et que la police était confiante de pouvoir bientôt identifier les coupables. Dans la semaine, on trouva le tigre dans un cirque de Salta. On lui avait la partie blanche du corps en jaune, pour le faire passer pour un tigre commun. Un employé du cirque dénonça la supercherie. La police mis ensuite la main sur le camionneur qui l'avait transporté et commencèrent à le cuisiner. Ils lui refirent le portrait pendant deux jours à la Préfecture, pour trafic d'animaux sauvages. À la fin, il parla. Il donna le nom de son accompagnateur, un membre de sa famille, qu'ils écrouèrent, et impliqua aussi dans le vol le puntero de la Villa 31 ainsi que des « gamins » qui l'avaient aidé.
Quand on alla chercher Merlo à la Villa, il avait déjà disparu. Une patrouille se rendit ensuite à l'école de la Villa et parla avec l'enseignante. La police lui demanda si elle avait observé quelque chose d'inhabituel dans le comportement des mômes et si elle en soupçonnait un. L'enseignante répondit que non, ce n'étaient que des enfants, ils étaient incapables de faire une chose pareille. Quand la patrouille sortit de l'école, des élèves lui jetèrent des cailloux et amochèrent le pare-brise de la voiture. Un agent descendit pour se mettre à leurs trousses mais ils s'étaient déjà enfuis dans les détours étroits de la Villa. Quand, hors de lui, il eut quasiment épuisé tout son répertoire d'insultes à leur adresse, les autres élèves commencèrent à le siffler et dire à la patrouille de se barrer.
Deux semaines plus tard le tigre était de retour au zoo et Tito et ses amis allèrent lui rendre visite. Robertito posa devant la cage, et le Rulo le prit en photo avec un portable que Tito avait volé quelque jours auparavant à un touriste nord-américain qui s'était distrait à La Boca. Ils firent ensuite quelques tours dans le zoo, s'arrêtèrent devant la fosse aux éléphants et sortirent. Ils n'avaient pas fait cent mètres dans l'avenue Santa Fé quand ils virent venir un gamin, d'à peu quatorze ans, avec des Adidas neuves à bandes colorées. Ils se lancèrent un regard complice, et en un clin d'oeil, étaient déjà en action. Robertito fit semblant de lui demander quelque chose. Le gamin s'arrêta. La Garza s'accroupi derrière lui et Tito le bouscula. Le gamin tomba sur le dos. Ils se jetèrent sur lui. Tito le plaqua contre le sol pour l'immobiliser et le Rulo lui retira les chaussures. Le Rulo et la Garza partirent en courant. Robertito se leva et commença à lui donner des coups de pieds sur la tête. Le gamin hurlait. « Ferme ta gueule, fils de pute ! », lui dit-il, avant de s'enfuir en courant vers où les autres étaient partis.
Dix minutes plus tard, ils arrivèrent face à la statue du Président Domingo Faustino Sarmiento, le grand éducateur de la patrie. Tous les trois, ils se prirent à admirer le vénérable vieillard. Ils étaient impressionnés par l'imposant chef d'oeuvre du maître Rodin. Ils essayèrent ensuite les baskets, pour voir à qui elles allaient le mieux. C'était la pointure de la Garza. Trop petites pour Tito et trop grandes pour le Rulo. La Garza leur lâcha vingt pesos, en compensation. La Garza et le Rulo marchaient ensemble bras-dessus, comme deux frères. Ils prirent l'avenue Libertador en direction du centre. Tito regardait avec intérêt la façade des riches bâtiments qui ornaient l'avenue. Le Rulo trouva un vieux chiffon sale trainant dans le caniveau. La Garza vit une boîte de pêches en conserve vide dans une poubelle et l'attrapa. Il la remplit à la fontaine de la Plaza Alemania. Ils s'arrêtèrent au carrefour des avenues Scalabrini Ortiz et Libertador. Quand le feu passa au rouge et les voitures s'arrêtèrent, Robertito s'approcha d'une Mercedes Benz et commença à lui essuyer le pare-brise avec le chiffon sale. Le conducteur se mit à hurler en lui disant de partir. La Garza s'approcha de la fenêtre en lui demandant de leur donner quelque chose, por favor. L'homme leur lâcha un billet de dix pesos, furieux, et Tito s'arrêta de nettoyer. Le feu passa au vert et les trois gamins regagnèrent le trottoir en rigolant. Le feu repassa au rouge et ils répétèrent l'opération. Quand ils eurent rassemblé assez d'argent, ils montèrent dans un taxi et dirent au chauffeur de les conduire à Retiro. L'homme leur demander de descendre mais Robertito insista, il devait les y emmener. Ils lui montrèrent l'argent. Finalement, le taxi démarra. Ils s'installèrent au fond de la banquette, comme des princes roulant dans la luxueuse avenue Libertador.
Quand ils furent arrivés à Retiro, ils sortirent du taxi. Le Rulo et la Garza dirent qu'ils allaient entrer dans la gare et demander de l'argent. Il était déjà dix-neuf heures et il allait bientôt faire sombre. Tito leur dit qu'il allait rentrer chez lui. Il avait un contrôle de mathématiques le lendemain. « Un jour, je serai ingénieur. » leur dit-il. « Ouais, c'est bien, comme ça tu nous construira de belles villas miserias ! », se moqua le Rulo. Robertito suivi son chemin et entra dans la Villa 31. Il regarda sur son téléphone la photo de lui avec le tigre blanc. Il marcha dans les allées boueuses jusqu'à son taudis. Sa mère était en train de regarder la télé. Une nouvelle série qui venait de commencer, El puntero. Une partie de l'histoire se déroulait dans une villa miseria. Doña Esperanza était heureuse de sentir qu'eux aussi, ils pouvaient être des personnages de série télé. Les riches, qui les avaient toujours méprisés, commenceraient à les voir tels qu'ils étaient. Elle demanda à son fils ce qu'il voulait manger. Robertito lui répondit milanaise purée. La mère commença à préparer le dîner. Tito attrapa ses livres, s'assit à la table de la cuisine et se mit à bûcher pour le contrôle du lendemain. Doña Esperanza ne cachait pas sa joie. Elle était fière de son fils.

Traduction d´ Enzo Bossetti




[1]  Les villas miserias sont les bidonvilles de l´Argentine. La Villa 31 est la plus emblématique de Buenos Aires. Elle est située à côté de la gare de Retiro et de quartiers riches de la capitale tels que Recoleta ou Puerto Madero.
[2] Le puntero c´est un Chef de quartier qui utilise son influence auprès des politiques en échange de faveurs.

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