d´Alberto Julián Pérez
Robertito Vicuña, ou Tito, comme on l’appelait, vivait dans la Villa 31[1]. Il avait quinze ans. Ses
deux meilleurs amis, la Garza et le Rulo, étaient un peu plus jeunes que lui.
Ils traînaient toujours ensemble. Ils étaient plus malins que les autres et
tous les gamins de la Villa les respectaient. Un puntero[2] de la Villa, du nom
de Merlo, vint voir un jour Tito. Il voulait lui parler d'un truc important. Il
avait un boulot pour lui et ses potes. Il s'agissait de voler un animal du zoo
de Buenos Aires. Tout était arrangé avec le directeur du zoo, qu'il
connaissait. Le coup allait rapporter gros. Le directeur laisserait la porte
principale toute la nuit déverrouillée pour que le camion qui servirait au
transport puisse entrer. Tito devait s'introduire dans le zoo avec les autres
gamins et ligoter les deux gardiens. Il lui donnerait un calibre, au cas où.
Après cela, ils devaient surveiller si la police arrivait. Ils contacteraient
le chauffeur par téléphone. Il promit à Robertito 5 000 pesos. C'était beaucoup
d'argent. Avec ça, il pouvait s'acheter une paire de Adidas neuves et des
survêtements de marque. C'était un travail facile, lui dit le puntero.
Il donnerait 1000 pesos chacun aux deux autres. Ce serait lui le chef. Ce
serait lui aussi le responsable. Il n'avait pas le droit à l’erreur. Tito
demanda au puntero quel animal ils allaient voler. Merlo le flingua du
regard. Il le saisit par la chemise, le tira jusqu'à lui et le souleva presque
du sol. C'était un homme grand et gros. Il lui dit qu'il s'en rendrait compte
en temps voulu. En attendant, ils devaient garder leurs bouches bien fermées.
Ils avaient intérêt à filer droit parce que lui, personne ne le prenait pour un
abruti. Tito savait à qui il avait affaire. Tout le monde avait peur de Merlo.
On racontait qu'il avait liquidé quelqu'un et pas du tout à la loyale.
Il en parla avec ses amis et ils tombèrent d'accord pour faire le
coup. L'opération aurait lieu dans la nuit de mardi. Le jour dit, ils se mirent
en route vers le zoo. Ils attendirent près de l'entrée. On était en septembre
et il faisait assez chaud. Il y avait une odeur horrible. À vingt-deux heures,
ils s'approchèrent de la porte et essayèrent de l'ouvrir. Comme l'avait dit
Merlo, la porte n'était pas fermée à clef. Ils poussèrent, elle céda. Ils
entrèrent. Tito marchait devant, le Rulo et la Garza le suivaient. Ils étaient
un peu plus petits que lui. Le Rulo était un gars à la peau mate et aux cheveux
bouclés. La Garza était maigre comme un clou, on aurait dit qu'il marchait sans
toucher le sol. Le zoo était peu éclairé. Les lumières gênaient les animaux.
Ils avancèrent prudemment, en se cachant derrière des troncs
d'arbres. Ils arrivèrent bientôt à la zone des cages. Non loin, à côté de la
cage d'un lion, ils virent un des gardiens. Il était en train de réviser la
serrure. Tito s'approcha en douce par derrière et lui donna un coup de crosse
sur la tête. Le gardien plia les genoux. Le Rulo le bâillonna avec du ruban
adhésif et la Garza lui couvrit la tête avec un sac de toile. À trois, ils
attachèrent ensuite les pieds et les mains, le traînèrent et le planquèrent
derrière un arbre.
Ils cherchèrent l'autre gardien. Il était près de la cage aux
vipères. Tito suggéra, pour se marrer, de le mettre dans la cage aux vipères et
les deux autres célébrèrent l'idée. En voilà une bonne. Tito s'approcha de lui
par derrière et l’assomma d'un coup de crosse. Il répétèrent ensuite
l'opération qu'ils avaient fait avec le premier : ils le bâillonnèrent,
lui couvrirent la tête, le ligotèrent et le planquèrent. Tito sortit son
téléphone et fit le numéro qu'on lui avait donné. Le camion arriverait dans
quelques instants, leur dit-on. Ils allèrent à la porte d'entrée et ouvrirent
le portail. Le camion se pointa après quelques minutes. Il entra. Les gamins
fermèrent le portail. Le camion avança. Ils le suivirent à pieds. Il s'arrêta
deux cent mètres plus loin et le chauffeur descendit avec son accompagnateur.
Sans rien dire, ils s'approchèrent d'une cage. C'était celle du tigre blanc,
l'animal le plus précieux du zoo.
Tito comprit à l'instant : ils allaient voler le tigre blanc.
« Le scandale que ça va faire quand ça se saura... » pensa-t-il. Le
chauffeur observa la cage avec prudence. L'arrière du camion était couvert
d'une bâche. Le chauffeur et l'accompagnateur le découvrirent. Apparut une cage
avec des barreaux de fer. Le chauffeur approcha l’arrière du camion de la cage
du tigre. L'idée était de l'ouvrir et de faire passer le fauve à l'intérieur du
camion. Le chauffeur et son accompagnateur apportèrent un chalumeau et
commencèrent à découper la serrure de la cage. L'animal à l'intérieur s'était
blotti dans un coin, prêt à se défendre. Finalement, ils ouvrirent la porte et
le chauffeur accoupla l'arrière du camion à l'entrée de la cage. Le tigre devait
passer d'une cage à l'autre. Le chauffeur lui mit un coup de tazer. L'animal
gémît de douleur, se leva et en deux coups de pattes se retrouva dans le
camion. Ça avait été facile. Le chauffeur sépara le camion de la cage du zoo et
son assistant ferma la porte avec un grand cadenas. Ils recouvrirent la cage du
camion avec la bâche. Toute l'opération avait duré une demi-heure.
Les gamins allèrent jusqu'au portail du zoo, ouvrirent et le
camion sortit. Puis ils s'en allèrent à leur tour en marchant, comme s'il ne
s'était rien passé. Avenue Santa Fé, ils prirent le bus 152 et rentrèrent à la
Villa. Le puntero Merlo les attendait. Il savait déjà que tout s'était
bien passé. Il leur donna l'argent et leur dit de faire attention et de se
faire remarquer le moins possible pendant plusieurs jours. Robertito lui rendit
le pétard, rangea son argent et alla dormir. Le lendemain matin, il avait
cours. Il était en troisième. Il allait au collège Nacional 3 de San
Telmo. C'était un bon élève. Il voulait devenir ingénieur et construire des
ponts. C'est ainsi qu'il disait.
Le jour suivant, le journal télé annonça que le tigre blanc du zoo
avait été volé. On accusait une bande de voleurs d'Uruguay. On ne savait pas où
pouvait se trouver le tigre. On spéculait que le séquestre pouvait avoir été
commandité par un narcotrafiquant connu, qui collectionnait les animaux
sauvages et avait son propre zoo à l'air libre dans une de ses estancias de la
Pampa. Il y avait aussi des rumeurs selon lesquelles des fonctionnaires
pouvaient avoir étés impliqués dans le vol.
En fin d'après midi, Tito rentra du collège et retrouva ses deux
amis, qui allaient dans un collège d'éducation prioritaire de la Villa. Ils
allèrent en centre-ville pour voir des vêtements de sport. Tito s'acheta les
baskets dont il rêvait et un ensemble t-shirt et jogging Adidas. Ils allèrent
ensuite chez les coréens de Barrio 11 pour que la Garza et le Rulo s'achètent
des imitations. Ils n'avaient pas assez pour les originales.
La police informa tous les jours des progrès de l'enquête. C'était
un scandale. Il n'était pas possible qu'un animal aussi important disparaisse.
On fit une interview du directeur du zoo. Il dit que l'enquête avançait
rapidement et que la police était confiante de pouvoir bientôt identifier les
coupables. Dans la semaine, on trouva le tigre dans un cirque de Salta. On lui
avait la partie blanche du corps en jaune, pour le faire passer pour un tigre
commun. Un employé du cirque dénonça la supercherie. La police mis ensuite la
main sur le camionneur qui l'avait transporté et commencèrent à le cuisiner.
Ils lui refirent le portrait pendant deux jours à la Préfecture, pour trafic
d'animaux sauvages. À la fin, il parla. Il donna le nom de son accompagnateur,
un membre de sa famille, qu'ils écrouèrent, et impliqua aussi dans le vol le puntero
de la Villa 31 ainsi que des « gamins » qui l'avaient aidé.
Quand on alla chercher Merlo à la Villa, il avait déjà disparu.
Une patrouille se rendit ensuite à l'école de la Villa et parla avec
l'enseignante. La police lui demanda si elle avait observé quelque chose
d'inhabituel dans le comportement des mômes et si elle en soupçonnait un.
L'enseignante répondit que non, ce n'étaient que des enfants, ils étaient
incapables de faire une chose pareille. Quand la patrouille sortit de l'école,
des élèves lui jetèrent des cailloux et amochèrent le pare-brise de la voiture.
Un agent descendit pour se mettre à leurs trousses mais ils s'étaient déjà
enfuis dans les détours étroits de la Villa. Quand, hors de lui, il eut
quasiment épuisé tout son répertoire d'insultes à leur adresse, les autres élèves
commencèrent à le siffler et dire à la patrouille de se barrer.
Deux semaines plus tard le tigre était de retour au zoo et Tito et
ses amis allèrent lui rendre visite. Robertito posa devant la cage, et le Rulo
le prit en photo avec un portable que Tito avait volé quelque jours auparavant
à un touriste nord-américain qui s'était distrait à La Boca. Ils firent ensuite
quelques tours dans le zoo, s'arrêtèrent devant la fosse aux éléphants et
sortirent. Ils n'avaient pas fait cent mètres dans l'avenue Santa Fé quand ils
virent venir un gamin, d'à peu quatorze ans, avec des Adidas neuves à bandes
colorées. Ils se lancèrent un regard complice, et en un clin d'oeil, étaient
déjà en action. Robertito fit semblant de lui demander quelque chose. Le gamin
s'arrêta. La Garza s'accroupi derrière lui et Tito le bouscula. Le gamin tomba
sur le dos. Ils se jetèrent sur lui. Tito le plaqua contre le sol pour
l'immobiliser et le Rulo lui retira les chaussures. Le Rulo et la Garza
partirent en courant. Robertito se leva et commença à lui donner des coups de
pieds sur la tête. Le gamin hurlait. « Ferme ta gueule, fils de
pute ! », lui dit-il, avant de s'enfuir en courant vers où les autres
étaient partis.
Dix minutes plus tard, ils arrivèrent face à la statue du
Président Domingo Faustino Sarmiento, le grand éducateur de la patrie. Tous les
trois, ils se prirent à admirer le vénérable vieillard. Ils étaient impressionnés
par l'imposant chef d'oeuvre du maître Rodin. Ils essayèrent ensuite les
baskets, pour voir à qui elles allaient le mieux. C'était la pointure de la
Garza. Trop petites pour Tito et trop grandes pour le Rulo. La Garza leur lâcha
vingt pesos, en compensation. La Garza et le Rulo marchaient ensemble
bras-dessus, comme deux frères. Ils prirent l'avenue Libertador en direction du
centre. Tito regardait avec intérêt la façade des riches bâtiments qui ornaient
l'avenue. Le Rulo trouva un vieux chiffon sale trainant dans le caniveau. La
Garza vit une boîte de pêches en conserve vide dans une poubelle et l'attrapa.
Il la remplit à la fontaine de la Plaza Alemania. Ils s'arrêtèrent au carrefour
des avenues Scalabrini Ortiz et Libertador. Quand le feu passa au rouge et les
voitures s'arrêtèrent, Robertito s'approcha d'une Mercedes Benz et commença à
lui essuyer le pare-brise avec le chiffon sale. Le conducteur se mit à hurler
en lui disant de partir. La Garza s'approcha de la fenêtre en lui demandant de
leur donner quelque chose, por favor. L'homme leur lâcha un billet de
dix pesos, furieux, et Tito s'arrêta de nettoyer. Le feu passa au vert et les
trois gamins regagnèrent le trottoir en rigolant. Le feu repassa au rouge et
ils répétèrent l'opération. Quand ils eurent rassemblé assez d'argent, ils
montèrent dans un taxi et dirent au chauffeur de les conduire à Retiro. L'homme
leur demander de descendre mais Robertito insista, il devait les y emmener. Ils
lui montrèrent l'argent. Finalement, le taxi démarra. Ils s'installèrent au
fond de la banquette, comme des princes roulant dans la luxueuse avenue Libertador.
Quand ils furent arrivés à Retiro, ils sortirent du taxi. Le Rulo
et la Garza dirent qu'ils allaient entrer dans la gare et demander de l'argent.
Il était déjà dix-neuf heures et il allait bientôt faire sombre. Tito leur dit
qu'il allait rentrer chez lui. Il avait un contrôle de mathématiques le
lendemain. « Un jour, je serai ingénieur. » leur dit-il.
« Ouais, c'est bien, comme ça tu nous construira de belles villas
miserias ! », se moqua le Rulo. Robertito suivi son chemin et
entra dans la Villa 31. Il regarda sur son téléphone la photo de lui avec le
tigre blanc. Il marcha dans les allées boueuses jusqu'à son taudis. Sa mère
était en train de regarder la télé. Une nouvelle série qui venait de commencer,
El puntero. Une partie de l'histoire se déroulait dans une villa
miseria. Doña Esperanza était heureuse de sentir qu'eux aussi, ils
pouvaient être des personnages de série télé. Les riches, qui les avaient
toujours méprisés, commenceraient à les voir tels qu'ils étaient. Elle demanda
à son fils ce qu'il voulait manger. Robertito lui répondit milanaise purée. La
mère commença à préparer le dîner. Tito attrapa ses livres, s'assit à la table
de la cuisine et se mit à bûcher pour le contrôle du lendemain. Doña Esperanza
ne cachait pas sa joie. Elle était fière de son fils.
Traduction d´ Enzo Bossetti
[1] Les villas miserias sont les bidonvilles de
l´Argentine. La Villa 31 est la plus
emblématique de Buenos Aires. Elle est située à côté de la gare de Retiro et de
quartiers riches de la capitale tels que Recoleta ou Puerto Madero.
[2] Le puntero
c´est un Chef de quartier qui utilise son influence auprès des politiques en
échange de faveurs.
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